Les Rencontres de la photographie d’Arles s’ouvrent aux formes photographiques non-conventionnelles. Celles-ci dévoilent toute leur puissance à travers des expériences indicibles, telle la série ಮರಣ Marana [Décès] de Vishal Kumaraswamy.
À l’évidence, Vishal Kumaraswamy ne s’intéresse pas à l’universalité du deuil. Pas uniquement, du moins. Ce qui compte pour cet artiste indien, né en 1988 à Bengaluru, c’est la dimension communautaire de cette épreuve. Par attrait psychologique, mais aussi par nécessité de penser des œuvres fédératrices, de créer des liens avec d’autres communautés. Un hasard ? Pas vraiment quand on sait que Vishal Kumaraswamy appartient à la communauté dalit, à ceux que l’on surnomme les « hors caste », une catégorie de personnes subissant de nombreuses discriminations.
Consciemment ou non, ce statut influence aujourd’hui son travail à la croisée du film, de la performance et de l’art informatique dans une perspective « anti-caste ».
Sélectionnée par le Prix Découverte Fondation Louis-Roederer des Rencontres de la photographie d’Arles, sa série ಮರಣ Marana [Décès] (2022-2023) est exposée jusqu’au 27 août à l’Église des Frères Prêcheurs avec la collaboration du collectif artistique, transféministe et antiraciste Party Office. Fruit d’une documentation visuelle de processions funéraires, les photos ont servi à produire une cartographie de gestes à l’aide du scanner 3D et de la photogrammétrie. Par la suite, elles ont été réinterprétées sous forme de visuels génératifs afin de simuler une impression de mouvement dans un contexte abstrait.
Lutter contre le sceau d’invisibilité
Au sein de la communauté dalit, les cortèges funèbres sont le seul moment où les membres sont tolérés à déambuler collectivement dans l’espace public, ceci jusqu’à l’enterrement. C’est sur cette tension entre disparition et visibilité que Vishal Kumaraswamy s’est focalisé. Interviewé par le média Asap Art, il explique : « Pendant cette période de suspension, la procession se déroule à la fois comme l’expression d’un deuil et comme un défi aux règles futiles qui régissent le mouvement de corps comme les nôtres, vivants ou morts. »
Dans ses images, le mouvement oscille ainsi entre effacement, chorégraphie et célébration, exprimant ainsi à la perfection le paradoxe de ce qui se joue au cœur de ces rites. Toutefois, un autre enjeu semble à l’œuvre au sein de ces images 3D : favoriser l’émancipation des membres de la communauté, révéler d’autres représentations que celles imposées par la caste dominante dans l’espace social en les faisant pénétrer l’environnement numérique. Ce faisant, Vishal Kumaraswamy délivre via ಮರಣ Marana [Demise] une vision du virtuel comme lieu non-codifié, susceptible de débarrasser les sociétés des violences sociales. Un idéal 2.0 auquel on a envie de croire.