« Electric OP » : quand l’art optique hante la création numérique

"Electric OP" : quand l'art optique hante la création numérique
“Ninety Parallel Sinusoids with Linearly Increasing Period”, de A. Michael Noll. 1964 ©A. Michael Noll/Brenda Bieger/Buffalo AKG Art Museum

Quelle influence l’art optique a-t-il eu sur la création contemporaine de ces soixante dernières années, notamment chez certains artistes issus des arts vidéo, informatiques et numériques ? Grâce à l’exposition Electric OP, présentée jusqu’au 31 août au Musée d’Arts de Nantes, on a désormais la réponse.

Conçue en étroite collaboration avec le Buffalo AKG Art Museum, aux États-Unis, riche comme le Musée d’Arts de Nantes d’une collection bien spécifique d’art cinétique et optique, l’exposition Electric OP présente et actualise le discours de l’abstraction géométrique au XXIe siècle. Particulièrement audacieux, l’accrochage est ici agrémenté de textes et de cartels concis et explicatifs bienvenus. Des visites sont aussi organisées pour ne rien perdre du propos de la commissaire Salomé Van Eynde. Un conseil : profitez-en !

Enfin, un labo a été spécialement conçu au centre de l’exposition pour aider les petits et les grands à combler d’éventuelles lacunes. Bref, à la sortie de ce dédale géométrique, pensé comme un parcours labyrinthique fascinant, une seule certitude : ces arts complexes n’auront plus aucun secret pour vous !

Sculpture cubique en plexiglas, à la fois jaune et bleue, exposée sur un socle blanc.
Construction 31 – II, Leroy Lamis, 1965 ©Leroy Lamis/Brenda Bieger/Buffalo AKG Art Museum

Aux origines de l’art optique

« Je propose ici un chassé-croisé entre passé et présent, qui débute par l’Optical Art, dont la contraction OP a donné en partie son nom à l’exposition, précise Salomé Van Eynde. Le côté Electric émerge au fil du parcours, devenant de plus en plus prégnant. Il est partagé en quatre axes : “Répétition programmée”, “Binarité”, “3D” et “Pixel” ». Pour comprendre un tel parti pris, le mieux est encore de remonter le temps et de s’arrêter en 1955. Cette année-là, la galerie Denise René organise à Paris l’exposition fondatrice Le Mouvement, désormais culte ! Elle y pose les bases de l’art cinétique et de l’Optical Art (Op Art), façonnées par des plasticiens, peintres et sculpteurs comme Victor Vasarely, Nicolas Schöffer ou François Moreller.

À travers leurs œuvres, le mouvement peut s’exprimer de deux manières différentes. Soit, l’œuvre s’anime toute seule via un mécanisme, s’apparentant ainsi à une machine ; soit, le visiteur, en se déplaçant devant elle, la fait évoluer sous ses yeux grâce à une illusion optique, à l’instar de Double métamorphose III (1968-1969). En circulant devant ce tableau en 3D, réalisé par le plasticien Agam, le visiteur assiste à sa métamorphose, due à un relief de tubes d’aluminium de section triangulaire dont les faces sont peintes de formes et de couleurs différentes. Troublante, l’expérience se révèle extrêmement convaincante !

Tableau noir représentant une suite de lignes de code.
data.tron, Ryoji Ikeda, 2007 ©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais 

Un art programmé

La suite du parcours montre comment l’apparition de nouvelles technologies, telles que la vidéo ou l’ordinateur, ont modifié à nouveau ces rapports visuels. Le chapitre « Répétition programmée » le rappelle avec force : plusieurs artistes optiques, à commencer par Leroy Lamis, Vera Molnár, Eduardo McEntyre, ayant reçu une formation artistique traditionnelle, se sont emparé de la programmation informatique comme d’un outil de création à part entière. Qu’importe si, en ce temps-là, l’ordinateur ressemblait à un énorme bloc fait de diverses machines s’exprimant uniquement à l’aide d’un traceur, Michael Noll, Georg Nees ou encore Frieder Nake, tous ingénieurs de formation, se sont amusés avec dans l’idée de recréer les motifs de l’Op Art – et entrer ainsi à leur tour dans le monde de l’art.

Ces derniers se sont d’ailleurs bien souvent inspirés du travail de Bridget Riley qui avait, elle, l’ordinateur en horreur ! Un paradoxe ? Pas tant que ça quand on sait à quel point, aujourd’hui encore, de nombreux artistes numériques (au premier rang desquels Ryoji Ikeda) continuent de revendiquer une filiation esthétique avec des artistes optiques n’ayant jamais fait l’usage de l’électronique, comme Victor Vasarely ou Jesús-Rafael Soto.

Représentation graphique et pixelisée d'une spirale grise.
Spiral Dilatation, Jean-Pierre Hébert, 1988 ©Jean-Pierre Hébert/Carl & Marilynn Thoma Foundation

Le monde d’avant Internet

« Binarité », « 3D » et « Pixel », en trois autres chapitres denses, l’exposition ne cesse de démontrer cette influence prégnante. Les perspectives impossibles, véritables casse-têtes, et les univers psychédéliques sur papier de Josef Albers, Yvaral ou Jésus Rafael ont visiblement influencé Jen Stark ou Marius Watz, passés maîtres dans la 3D conceptuelle. Angela Bulloch, Douglas Coupland, et Rafaël Rozendaal apparaissent aussi ici, à raison, comme de véritables nostalgiques du pixel visible.

Teinté d’ironie, I Miss My Pre-Internet Brain (2012), témoigne bien de la manière dont l’art géométrique s’est aujourd’hui développé à outrance avec l’arrivée du numérique. Cette peinture de Douglas Coupland représente un QR code fonctionnel qui, quand le visiteur l’active sur son téléphone, renvoie le message « I miss my pre-Internet brain » (« Mon cerveau d’avant Internet me manque », en VF). Une manière, somme toute pertinente et humoristique, d’exprimer sa nostalgie d’une époque où l’expérience visuelle face à une œuvre colorée et géométrique n’était pas contaminée par les nouvelles technologies, mais aussi de mettre l’accent sur le point central de l’exposition : oui, les artistes numériques actuels ont été considérablement marqués par l’OP Art. 

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