Jusqu’au 8 février, Fisheye Immersive profite de chaque samedi pour mettre en valeur le travail de trois artistes voués à marquer 2025 de leur empreinte. Pour ce premier épisode, focus sur Julieta Tarraubella, Bastien Faudon et Micah Alhadeff.
Julieta Tarraubella (1991)
Représentée par l’unique galerie d’art numérique en Argentine (Rolf Art, fondée en 2009), Julieta Tarraubella, 33 ans, dévoilait lors de la dernière édition d’Art Basel Miami The Secret Life Of Flowers (2018-2024), une installation vidéo où des caméras de surveillance observent la vie de différentes fleurs, leur inévitable décomposition. Il s’agit là d’un « jardin de méditation technologique », d’une expérience qui impressionne par sa puissance visuelle et sa scénographie, à la fois épurée et sophistiquée, qui parachève cette évocation subtile et poétique d’un écosystème fragilisé, voué à disparaître sous nos yeux.
Diplômée de l’Université de Buenos Aires en conception d’images et de sons, avant d’étudier les arts visuels au Brésil, l’artiste argentino-péruvienne fait aujourd’hui partie de cette génération d’artistes utilisant les données compilées dans des data centers comme support afin créer des œuvres visuellement puissantes, qui reflètent l’air du temps et les préoccupations écologiques d’une époque ressemblant toujours plus à un angoissant épisode de Black Mirror.
La série de Charlie Brooker est d’ailleurs l’influence revendiquée de BUNKER (2018-2023), une vidéo-performance au cours de laquelle Julieta Tarraubella envoie un groupe d’acteurs portant des lunettes futuristes à écran LED dans les rues de Buenos Aires, São Paulo et Getxo, tandis qu’un flux continu de titres de journaux défilent devant leurs yeux et qu’une lumière rouge aveuglante traverse le verre de leurs lunettes. Ou comment donner une représentation à cette pensée qui voudrait que la population est toujours plus contrôlée par les médias de masse.
Bastien Faudon (1993)
Né à Aix-en-Provence et diplômé des Beaux-Arts d’Avignon, Bastien Faudon était un peu le régional de l’étape parmi les douze artistes exposés dernièrement au Grenier à Sel, dans le cadre Le futur est déjà là. Peut-être est-ce pour ça qu’il était le seul à avoir conçu une œuvre spécialement pour l’évènement, Game Over, une installation interactive où sa démarche transdisciplinaire trouve sa pleine mesure.
S’il se définit volontiers comme un artiste-chercheur, c’est moins par goût des étiquettes que par volonté d’être au plus près de ce qu’il explore continuellement : la porosité entre l’art et les sciences. Game Over, par exemple, détourne le célèbre automate cellulaire Jeu de la vie (Game of Life), imaginé par le mathématicien britannique John Conway en 1970, et propose à chaque visiteur d’y prendre part. Comment ? Via une installation vidéo interactive qui génère un dessin automatique et questionne les machines auto-reproductives de manière poétique.
C’est que Bastien Faudon, derrière un goût prononcé pour le dessin, a aussi des envies d’animation, symbolisées en 2021 par L’espace entre nous, un film où, sur fond noir, une sphère blanche se décompose et finit par dévoiler un écosystème de nervures. Qu’il expose au Palais de Tokyo , à la Fête des Lumières, à Lyon, ou dernièrement lors de la Luxembourg Art Week avec la Galerie Robet Dantec, il y a quoiqu’il arrive chez lui un attrait sincère pour la cartographie, les recherches scientifiques, la possibilité de traduire toutes ces données et ces savoirs dans des œuvres qui semblent flotter au sein d’un autre espace-temps, jamais totalement le nôtre, jamais totalement celui du monde virtuel.
Micah Alhadeff (1992)
À intervalles plus ou moins réguliers, Fisheye Immersive met en lumière des artistes s’intéressant à la notion d’identité, au corps, à la manière dont les arts numériques permettent de le réinventer ou de le diffracter. Toutefois, jamais nous ne sommes posés les questions suivantes : à quoi ressemblerions-nous dans un monde tout entier abandonné au glitch art ? Aurions-nous foi en une déesse si celle-ci avait les allures d’un monstre qui aurait muté avec les plantes ? Aurait-on l’air intelligent si, à force de transformations digitales, on ne pouvait plus se caresser le menton devant une installation vidéo de Bill Viola ?
Toutes ces questions (ou, du moins, les deux premières), Micah Alhadeff entend y répondre. Fraîchement auréolé d’une maîtrise en arts électroniques à la Alfred University de New York, cet artiste 3D défend effectivement une vision du corps ouvertement hybride, moins proche du cyborg que d’une version monstrueuse et totalement fantasmée de l’iconique figure homme-machine. Que ce soit à la ArtVerse Gallery (dans le cadre de l’exposition Soft Mutations, vue récemment), sur la blockchain, chez Sotheby’s (où ses œuvres sont vendues) ou sur Insta, son style et sa fantaisie séduisent en tout cas pour leur faculté à se tenir à bonne distance de la raison, étranger à toute forme de rationalité.