Actuellement exposé au Hangar Y, dans le cadre de l’exposition collective Recharger, l’artiste visuel Alex Le Guillou prend le temps d’expliquer les secrets de fabrication de son art, au croisement des sciences, de la technologie et des préoccupations écologiques. Au passage, il détaille son attrait pour les technologies immersives.
L’exposition au Hangar Y, inspirée de l’exposition Recharger/Unwind à Montréal, regroupe cinq œuvres immersives, dont la tienne, Horizon. Qu’est-ce qui t’a incité à te joindre à cette expérience immersive ?
Alex Le Guillou : Ma participation à Recharger, dans sa version française, a commencé par le partenariat en 2021 avec OASIS Immersion et la création de deux œuvres originales pour leur espace, dans le cadre de la première exposition Recharger à Montréal. À ce moment-là, j’ai créé Newland, une expérience immersive traitant de notre rapport à la réalité et de notre regard sur la nature. Dans la foulée, les organisateurs m’ont proposé de créer une deuxième œuvre : Horizon. Je l’ai proposé assez vite avant l’ouverture de l’exposition, d’où son aspect minimaliste dû aux contraintes de temps. Avec le recul, je trouve que ça en fait sa force.
Horizon s’inscrit donc dans le prolongement du travail mené depuis tes débuts, en 2005 ?
Alex Le Guillou : Disons qu’il s’agit là d’une œuvre immersive d’une durée de cinq minutes qui a été spécifiquement désignée pour des espaces immersifs, en essayant de tirer parti des possibilités qu’offrait à l’origine l’espace OASIS à Montréal, tout en créant une narration assez minimale dans l’idée de provoquer une certaine sensation chez les spectateurs. Horizon et Newland ont été pensés pour la version canadienne de Recharger, mais j’ai tout de suite accepté d’en créer une variation pour le Hangar Y. La taille du lieu n’a rien à voir, donc les sensations sont différentes, il faut adapter l’œuvre dans ses dimensions. À Montréal, on était sur de la vidéo projection, ce qui nécessitait des projecteurs vidéos projetant une texture sur des murs faits pour accueillir ce type de lumière. À Meudon, on mise davantage sur de la LED. On est donc sur de la diffusion, ce qui oblige à adapter le contenu, notamment au niveau du format.
Pour Horizon, tu as choisi de travailler avec le logiciel numérique Notch. Pourquoi celui-ci en particulier ?
Alex Le Guillou : J’ai commencé la création vidéo en 2005, environ, avec des outils de création traditionnels : AfterEffect et les différents logiciels 3D (3DsMAx, Cinéma 4D). Puis, vers 2017-2018, Notch est apparu sur le marché et regroupait tout ce que je cherchais depuis pas mal d’années. C’est-à-dire un logiciel professionnel de production vidéo permettant aussi bien d’exporter des fichiers vidéo que de faire des installations interactives. Depuis, c’est devenu mon outil au quotidien.
Horizon explore le pilier conceptuel de l’énergisation. Est-ce lié à un intérêt particulier pour le développement personnel ?
Alex Le Guillou : Disons que je me suis laissé porter par le thème défini par les équipes d’OASIS, « énergisation », et que je me suis inspiré des paysages de chez moi. J’ai passé une quinzaine d’années à Paris, puis, en 2020, je suis revenu près de ma famille en Bretagne, d’où la nature, la mer, les couchers de soleil, etc. Ça m’a toujours inspiré, et c’est de là que vient Horizon. Il n’y a pas de grand discours derrière, il s’agit juste de se laisser porter par des sensations, mes sensations, traduites ici en images. J’ai eu pas mal de retours des spectateurs, davantage que sur Newland, sans doute parce que cette dernière est plus réaliste. Avec Horizon, on laisse davantage de place au ressenti, à l’interprétation des gens. D’ailleurs, une personne m’a récemment envoyé un message pour me dire que ça lui avait fait penser au décès de sa mère. C’est dire si chacun y voit ce qu’il veut… Personnellement, je n’ai pas la prétention de mettre les gens en trans ni rien. Ce sont eux qui contrôlent leurs émotions : moi, je laisse juste la porte ouverte à l’interprétation. Je ne fais que livrer mes sensations à travers l’image et le son.
« C’est tout le paradoxe de cette industrie : diffuser un message écoresponsable en essayant de ne pas consommer à outrance. »
As-tu également cherché à être le moins impactant possible sur le plan écologique ?
Alex Le Guillou : Oui et non. Certes, je ne suis pas dans le domaine le plus respectueux de l’écologie, mais le choix de mes thématiques et la représentation de la nature permettent selon moi de créer des échanges sur le sujet, de mettre en lumière certaines problématiques. Récemment, j’ai participé à la création de séquences pour un film qui traite des forêts australiennes et au sein duquel on évoque justement leur histoire, leur beauté. Mais évidemment, pour ça, il faut utiliser l’ordinateur et l’électricité, des processeurs et des temps de calcul. C’est tout le paradoxe de cette industrie : diffuser un message écoresponsable en essayant de ne pas consommer à outrance.
Horizon s’étire sur une durée finalement assez courte, cinq minutes à peine. Qu’est-ce que cela représente en temps de création ?
Alex Le Guillou : On est sur des tailles en pixels, donc très très grandes, qui apportent une réelle contrainte technique, donc le temps nécessaire au processus de création est assez variable. Newland, par exemple, m’a pris peut-être deux mois, là où Horizon est sorti en une dizaine de jours. On est venu vers moi très tard pour me demander une deuxième œuvre, donc j’ai dû trouver un concept minimal, rapidement déployable et réalisable. D’ailleurs, ça se traduit à l’intérieur de l’œuvre avec le même principe graphique qui se déploie tout du long. Un peu comme si j’avais fait des contraintes un concept graphique et artistique.
Pour la création d’Horizon, tu as notamment travaillé avec le compositeur Jonathan Fitas. Comment s’est passé ce travail d’écriture ?
Alex Le Guillou : Jonathan et moi nous sommes rencontrés il y a quelques années lors d’un festival d’art immersif à l’Atelier des Lumières. J’ai tout de suite été très sensible à son travail. Étant donné qu’il semblait apprécier le mien également, nous avons gardé contact avant de collaborer ensemble sur un clip de son album, « Ingenuous », histoire d’acter la rencontre entre son univers musical et mon univers visuel. Tout s’est bien passé, donc on a décidé de réitérer l’expérience sur Horizon, qui résulte d’un processus de création finalement assez fluide : je lui partageais ma vision de l’œuvre, je le laissais s’exprimer, il réagissait aux images, moi au son, et c’était une sorte de ping-pong créatif.
On a l’impression que de nombreuses œuvres en VR ou XR s’appuient sur de la musique… Quelle utilité a-t-elle chez toi ?
Alex Le Guillou : La musique, c’est ce qui va donner le ton et va s’imbriquer avec le visuel pour produire une œuvre totale. La musique, ce n’est pas juste une bande-sonore en compo sur des visuels. Tout l’enjeu est donc de bien transmettre mes intentions au musicien pour que la création du compositeur serve l’œuvre.
On comprend que tu as une vision assez claire de ce à quoi tu aspires. Est-ce à dire que tu te fixes des objectifs à atteindre ?
Alex Le Guillou : Je ne m’étais volontairement pas fixé d’objectif précis, je voulais explorer et graviter autour de cette notion de ligne et d’horizon. L’horizon, selon moi, est une forme qui n’est pas vraiment une forme, on regarde quelque chose qui n’existe jamais, quelque chose de suffisamment vaste pour que l’on y voit ce qu’on veut. C’est un support idéal pour raconter des histoires, des sensations. Visuellement, je voulais rester sur quelque chose d’assez pur et évolutif. Pour l’audio également ! Je disais à Jonathan : « Pourquoi ne pas partir d’une fréquence, puis l’enrichir petit à petit, pour finalement revenir à un état stable ? ». Il y avait toutes ces relations entre l’horizon, les battements de cœur, les vagues, le vent, tout un éventail de sensations : j’ai donc préféré me laisser surprendre par le résultat plutôt que de me fixer des objectifs. D’autant que j’ai une conviction : à trop réfléchir, à trop vouloir retranscrire ce que l’on a en tête, on finit déçu.
« Le placement du spectateur est fondamental dans la création et étudié en permanence dans tous les éléments que je crée. »
D’un point de vue personnel, à partir de quel moment t’es-tu intéressé aux technologies immersives ? Quels avantages as-tu vu dans leur utilisation par rapport à d’autres techniques, considérées comme plus traditionnelles ?
Alex Le Guillou : Je n’ai pas de volonté particulière d’aller dans tel ou tel domaine, je me laisse porter par les opportunités et ce que l’on me propose, ainsi que mes ressentis. J’ai commencé avec la vidéo traditionnelle sur écran, en faisant notamment des bandes-annonces sur des sites marchands en ligne, puis j’ai travaillé pour des studios qui sortaient la vidéo de l’écran – ce que l’on a fini par appeler « mapping ». L’art immersif est le prolongement de ces innovations, dans le sens où ce sont les gens que l’on met désormais dans les écrans afin de les faire voyager, de les emmener ailleurs. Ce qui m’intéresse actuellement, c’est de proposer des univers graphiques et sonores, à la fois inédits et intéressants pour des spectateurs, ne serait-ce que pour leur faire ressentir des émotions.
C’est ce que permettent les technologies immersives, et c’est pour cette raison que j’ai envie d’aller encore plus loin dans l’immersion, avec un vrai détail sur le propos grâce aux outils disponibles aujourd’hui, comme l’intelligence artificielle.
Lorsque tu conçois une œuvre immersive, as-tu toujours en tête la place du spectateur, son rôle, ses possibles déplacements ?
J’y pense à chaque instant ! Dès le début, on prend connaissance du cadre dans lequel l’œuvre va être présentée. Pour Horizon, que ce soit à Montréal ou à Meudon, ce n’est pas la même place, pas mêmes les dimensions, il faut donc être conscient que les gens vont être plus ou moins proches de la surface de diffusion, se déplacer de telle manière, ce qui évidement a un impact sur la manière dont on crée les éléments, aussi bien visuels que sonores. Le placement du spectateur est fondamental dans la création et étudié en permanence dans tous les éléments que je crée.
Au point de te renseigner après coup sur ce qu’ils ont pensé de l’expérience ?
Alex Le Guillou : Les messages que j’ai reçu suite à Horizon sont incroyables ! On n’imagine pas à quel point les gens vont loin dans les interprétations ; moi-même, en tant qu’artiste, je ne mets pas autant de sens là-dedans. À croire que les gens cherchent absolument du sens, là où l’artiste ne fait que proposer une expérience.
Étant aux prémices de 2024, as-tu une idée des tendances qui pourraient se dégager au sein de l’art immersif cette année ? Toujours plus d’installations grandioses ?
Alex Le Guillou : Ces derniers temps, on note l’apparition de nombreux endroits immersifs, de nouveaux types de musées en quelque sorte. Je pense que le musée tel qu’on le connaît existera toujours, mais qu’il va devoir se mettre à jour en proposant ce genre d’expériences dans son catalogue. Par rapport à tous ces espaces, il va falloir davantage de créateurs pour habiller ces différents lieux – les créateurs vidéo ont donc de beaux jours devant eux, à condition de se mettre à la page « des grandes images ». Aussi, j’ai l’impression que la nature revient souvent en tant que thématique. À croire que l’on cherche à aller toujours plus loin dans l’observation de la nature et ses possibles interprétations, que l’on ambitionne à changer la manière de regarder certains espaces. Les outils dont on dispose désormais, comme l’intelligence artificielle ou autre, vont permettre de créer de nouveaux scénarios et, encore une fois, de proposer des discours pouvant favoriser l’émergence de quelques solutions – c’est notamment le but de The Giants.
Autre certitude : les artistes immersifs vont devoir mener une vraie réflexion sur le contenu, la narration, le sujet. Mettre des images sur des grands murs ne va plus du tout suffire. Il va falloir un vrai travail d’équipe entre les créateurs visuels et sonores afin de créer des expériences cohérentes et intéressantes. Pourquoi ? Parce que le niveau va augmenter et que le public va de moins en moins se laisser impressionner par les performances technologiques.