Alors que la 60e édition de la Biennale de Venise vient d’être inaugurée, zoom sur cinq artistes qui mettent l’art numérique au centre d’une manifestation incontournable.
La Biennale de Venise est à l’art ce que la Fashion Week est à la mode ou les JO au monde du sport : un rendez-vous immanquable dressant un panorama de la création contemporaine. Dirigée pour la première fois par un commissaire de l’hémisphère Sud, le Brésilien Adriano Pedrosa, l’édition intitulée Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere et dépoloyée sur le thème de la migration et de l’exil compte bien renverser un peu la tendance et inscrire cet événement ultra-institutionnalisé dans la modernité, en exposant des artistes extra-occidentaux, queer ou utilisant les nouveaux médias. Car, si la peinture et la sculpture traditionnelle tiennent toujours le haut du pavé, les amateurs d’art numérique peuvent compter sur de dignes représentants pour les satisfaire. Petit tour d’horizon.
Julien Creuzet
En associant sculptures, textes, vidéos, performances et nouvelles technologies, l’artiste pluridisciplinaire Julien Creuzet se fait le digne représentant de la créativité à la française et devient, au passage, le premier Franco-Caraïbéen à prendre possession de notre Pavillon. Rendant hommage à son enfance en Martinique, son art est à l’image de son île : protéiforme et propice à la célébration des imaginaires multiples.
Fidèle à aucun dogme (l’artiste nous a confié avoir réalisé la plupart des images visibles lors de l’exposition vénitienne avec son téléphone), Julien Creuzet a ainsi pensé sa proposition comme un prolongement de ses travaux précédents : titré à la façon d’un poème, Attila cataracte ta source/aux pieds des pitons verts/finira dans la grande mer/gouffre bleu/nous nous noyâmes/dans les larmes marées de la lune se présente sous la forme d’un amoncellement de sculptures (80 !) pensées comme autant d’installations immersives traversées par six nouvelles vidéos. Avec, au centre du propos, la mise en lumière de la culture créole, les rapports post-coloniaux, les mythes fondateurs des sociétés de la Caraïbe et cette notion de déracinement, si questionnée, si présente au sein de son œuvre.
Nil Yalter
C’est l’une des stars de cette édition. Récompensée d’un Lion d’or, l’artiste franco-turque est l’une des pionnières de l’art vidéo féministe, mais aussi l’une des premières artistes à questionner les identités dites minoritaires en France. Pour l’occasion, Nil Yalter, 86 ans, remet à jour son œuvre emblématique Exile Is a Hard Job documentant le quotidien des familles immigrées turques dans les années 1970 à travers différents médiums allant de la photo au dessin, en passant par l’art vidéo et le numérique.
Joséfa Ntjam
Exposée hors les murs, à l’Académie des Beaux-Arts de Venise, du 20 avril au 24 novembre, la jeune artiste pluridisciplinaire messine multiplie les médiums pour tenter d’anticiper le futur, dans le but de mettre en lumière les biais post-coloniaux de notre ère. Sculpture, photomontage, vidéo, installation, intelligence artificielle, art numérique et même poésie : rien n’échappe à Joséfa Ntjam qui se fait la porte-parole de l’afrofuturisme au sein de la capitale de l’art italienne.
Mieux, elle profite de son installation (swell of spæc(i)es), commissionnée par LAS Art Foundation, pour se saisir d’un organisme – le plancton, essentiel à la survie de la vie humaine sur Terre -, dévoiler un mur de LED et ériger un prisme bleu-violet d’où émergent de multiples sculptures sonores pensées aux côtés de la compositrice Fatima Al Qadiri. Une fois encore, on retrouve ici l’attrait de la Française pour les mythologies, la fluidité de l’eau et les questions sociopolitiques contemporaines.
Kapwani Kiwanga
Représentant le Canada et soutenue par la galerie parisienne Poggi, Kapwani Kiwanga est l’artiste idéale pour répondre au thème pensé par Adriano Pedrosa. Grâce à une pratique multidisciplinaire utilisant divers registres des arts visuels, et plus particulièrement la sculpture, l’installation, la vidéo et la performance, la plasticienne interroge les dynamiques de pouvoir et les récits fondamentaux de notre histoire.
Avec l’installation Trinket [Pacotille], créée en collaboration avec le Musée des Beaux-Arts du Canada, Kapwani Kiwanga transforme le Pavillon du Canada en un environnement immersif soucieux de prendre en considération les éléments intérieurs et extérieurs de l’architecture pour mieux brouiller les repères et encourager ce qui semble animer la Canadienne depuis ses débuts : permettre au public d’imaginer et de faire l’expérience de nouvelles manières d’être et d’interagir.
Karimah Ashadu
Les habitués de la Biennale savent que l’exposition d’art internationale ne se limite pas qu’aux Giardini et à l’Arsenale, mais que la cité des Doges accueille également un grand nombre d’expositions parallèles à l’événement. Dans l’ancien hospice di Ospedaletto, on découvre ainsi, dans une exposition collective, l’art vidéo de l’artiste nigériane Karimah Ashadu dont le travail met en lumière les dynamiques sociales, économiques et culturelles de son pays d’origine et de sa diaspora.
- À découvrir aussi Thresholds de l’artiste transdisciplinaire Nicole L’Huillier, au pavillon allemand, l’art cinétique de Yuko Mohri, au pavillon japonais, l’archéologie numérique de Guerreiro do Divino Amor, au pavillon suisse, l’expérience multimédia de Memo Akten (Boundaries) à l’église Santa Maria della Visitazione, ou encore Liminal de Pierre Huyghe, présentée en marge de la biennale à la Punta della Dogana de Venise.