On le savait souffrant. Le 12 juillet dernier, Bill Viola, 73 ans, a fini par succomber à la malade d’Alzheimer. Afin de lui rendre hommage, Fisheye Immersive publie en intégralité l’article paru dans le premier numéro La Revue, réalisé aux côtés de Kira Perov, directrice de son studio et épouse depuis 1979.
Pionnier de l’art vidéo, Bill Viola s’est imposé depuis cinq décennies comme un sculpteur du temps explorant dans ses installations et ses images, tantôt contemplatives, tantôt malaisantes, le passage de la vie à la mort, du bien- être à un état second. Kira Perov, directrice du studio, travaillait en étroite collaboration avec son mari Bill Viola depuis 1979. Il y a quelques mois, elle retraçait pour Fisheye Immersive – La Revue cinquante ans d’innovation créative dans l’art via le médium vidéo.
1973 – Création de Bank Image Bank
Kira Perov : En 1973, après avoir obtenu son diplôme à l’université de Syracuse, dans l’État de New York, Bill a présenté une exposition personnelle au Everson Museum, où certaines vidéos à canal unique (Composition D, Cycles et Level), ses premières expériences, témoignent de son envie de tester les limites de ce nouveau médium. Un an plus tard, ces recherches se concrétisent avec Bank Image Bank, une installation interactive in situ dans une banque comprenant deux escaliers roulants et se présentant sous la forme de deux rangées de six moniteurs avec huit caméras noir et blanc.
1983 – Création de Reasons for Knocking at an Empty House
Kira Perov : Bill était souvent au centre de ses premières vidéos. L’immédiateté de l’enregistrement lui permet d’examiner notre existence au sein de mondes physiques et métaphysiques. Reasons for Knocking at an Empty House en témoigne : tournée en août 1979 dans le nord de l’État de New York, Bill l’a achevée en 1983. Alors qu’il était confiné dans une chambre à l’étage d’une maison vide, il en parlait comme une tentative « de rester éveillé sans interruption pendant trois jours », de chroniquer à partir d’une caméra fixe en noir et blanc « les effets du passage du temps sur un individu solitaire. »
1991 – Création de The Passing
Après la mort de sa mère en 1991, le lendemain du troisième anniversaire de notre premier fils, Bill a compris que son art ne pouvait pas être séparé de sa vie. Il a alors repensé à ces scènes tournées dans les déserts du Sud-Ouest américain, où nous avions campé pendant cinq mois en 1987. Soudain, l’œuvre qu’il devait créer depuis trois ans pour la chaîne allemande ZDF prenait forme, il lui fallait inclure à ces séquences des images de sa mère et de notre famille pour créer The Passing, qu’il considérait comme « une réponse personnelle aux extrêmes spirituels de la naissance et de la mort au sein d’une famille ». Son but était que ces « images nocturnes en noir et blanc » et ces « scènes sous-marines dépeignent un monde crépusculaire flottant aux frontières de la perception et de la conscience humaines, où les multiples vies de l’esprit (mémoire, réalité et vision) se confondent. »
1995 – Création de The Greeting
L’exposition créée pour le pavillon américain à la Biennale de Venise en 1995, intitulée Buried Secrets, présentait cinq nouvelles œuvres dont The Greeting, qui s’inspirait de la peinture Visitation de Pontormo. Bill était intrigué par la couleur, la forme et la perspective étrange de cette peinture, recréant ces aspects formels, tandis qu’avec le mouvement lent des acteurs, toute l’action de la scène, les vêtements et les émotions ont été étendus et prolongés, révélant chaque détail. Autant dire que The Greeting s’éloignait complètement des travaux précédents de Bill.
C’était la première fois qu’il utilisait des acteurs dans une pièce ou construisait un décor. Le numérique n’existant pas encore, la pièce a été enregistrée sur une caméra à haute vitesse, qui prenait 300 images par seconde. Pour cette œuvre, Bill avait besoin d’un ralenti extrême et fluide. Ainsi, à partir d’une prise d’à peine 90 secondes, il a pu étirer ce qu’il avait en tête en salle de montage jusqu’à dix minutes et vingt-deux secondes. The Greeting précède sa célèbre série Passions, réalisée de 2000 à 2002.
2014 – Retrospective au Grand Palais, Paris.
Depuis son premier solo show en 1983, au Musée d’Art Moderne de Paris, Bill a toujours eu une relation active avec la France, que ce soit via des group shows ou des expositions personnelles importantes – je pense ici à celle présentée à la Fondation Cartier de Jouy-en-Josas en 1990, mais aussi à celle organisée par le Musée des Beaux-Arts de Nantes deux ans plus tard.
Parmi de nombreux autres projets, la collaboration avec l’Opéra de Paris, qui a accompagné Tristan und Isolde de Richard Wagner d’une vidéo de quatre heures de Bill, et la rétrospective organisée au Grand Palais en 2014 sont évidemment exceptionnelles. Elles expliquent le lien affectif entretenu avec le public français, qui donne toujours le temps qu’il faut à l’œuvre pour être vue.