La particularité des nouvelles technologies déployées par les artistes numériques ? Être si modernes et plurielles qu’elles peuvent aujourd’hui servir dans bien d’autres domaines. Voici une utilisation à laquelle on pense peu, et qui fait froid dans le dos.
S’il y a bien deux domaines que l’on est d’instinct tenté d’opposer ? Ceux de l’art et de la guerre. Ne dit-on pas de prendre la plume au lieu du fusil, de faire fuser les idées plutôt que les balles ? Quand la création ne sert pas d’échappatoire imaginaire aux violences de notre monde, elle s’emploie souvent à les dénoncer, à porter un regard critique sur les atrocités qui sévissent lors de conflits. Pourtant, il arrive que l’art et les combats mobilisent les mêmes outils : un constat qui prend encore plus d’ampleur depuis que les artistes se distinguent par leurs talents de codeurs, de designers 3D…
Citons l’exemple de l’agence des renseignements américaine, la CIA, qui a annoncé vouloir développer un outil de modélisation 3D photoréaliste, en tout point semblable à ceux utilisés par des artistes critiques des sociétés de contrôle tels que Fleuryfontaine ou Jonathan Pêpe. L’idée derrière ce projet ? Remplacer les maquettes physiques par des plans virtuels d’environnements et de bâtiments afin d’effectuer des missions militaires assurément plus efficaces et sécurisées. Dotée de moyens démesurés, l’agence compte ainsi exploiter des robots afin de s’immiscer dans un bâtiment, l’explorer et le cartographier en détails. Glaçant.
Qui inspire l’autre ?
À dire vrai, le phénomène n’a rien de radicalement nouveau. L’art et les technologies militaires s’inspirent (ou se pillent, question de point de vue !) mutuellement depuis de nombreuses années – pensons ici au détournement du vocodeur par les musiques émergentes, voire même au Ministère des armées recrutant parmi les auteurs de science-fiction afin d’anticiper les menaces futures…
Pour ce qui est de la modélisation 3D, nul besoin d’avoir un doctorat en géopolitique pour comprendre le malaise du côté des esprits créatifs, viscéralement opposés à toute intention belliqueuse. Et pour cause : ces logiciels sont bien souvent ceux qu’ils contribué à développer et perfectionner. À titre d’exemple, citons Rebecca Allen, cette artiste-chercheuse qui, toute sa carrière, a travaillé auprès d’une équipe de scientifiques au sein d’un laboratoire afin d’imaginer des utilisations impensées à leurs programmes informatiques.
Dans cette optique, il est logique de voir les artistes craindre la manière dont leurs technologies pourraient être détournées, parfois dans une optique totalement contraire à leur démarche d’origine. Toujours est-il que les technologies sont là, qu’elles se popularisent, se démocratisent et donnent une toute autre ampleur à l’expression « l’art de la guerre », dont la portée a rarement paru aussi cynique.