La Fondation Pernod Ricard invite Josèfa Ntjam à prendre possession de ses espaces, le temps de l’exposition protéiforme et immersive Matter Gone Wild. Pour l’occasion, l’artiste plasticienne a conçu une vaste installation afro-futuriste complexe, peuplée de néo-avatars engagés. Pour un résultat aussi passionnant qu’alambiqué.
Régulièrement dans les bons coups, la Fondation Pernod Ricard met aujourd’hui en lumière le travail de Josèfa Ntjam, sous le commissariat de Mawena Yehouessi, chercheuse en arts et philosophie qui voit en elle le symbole d’« une nouvelle génération d’artistes hybrides aux revendications disruptives quant aux us et coutumes d’un pays rompu à un imaginaire humaniste exclusif ». Le temps de l’exposition Matter Gone Wild, l’artiste originaire de Metz s’est réappropriée les lieux, les a remodelés pour mieux jouer la carte de l’immersion. Le parcours est ainsi partagé en trois espaces où se perdre est presque une invitation – en même temps qu’une obligation.
Aucune indication, aucune carte, Josèfa Ntjam a simplement consenti à fournir quelques explications, toutes situées à l’entrée de l’évènement, où sont mis à disposition des documents très complets permettant d’éclairer nos lanternes. Ouf !
Retour vers l’afrofutur
De prime abord, cette courte exposition laisse de marbre. Pour en jouir pleinement, mieux vaut se lancer dans le décryptage de ces documents, où l’on comprend à quel point Matter Gone Wild a été envisagée comme une proposition d’entraînement à l’insurrection, imaginaire et mémorielle. De fait, elle aborde les notions de réseaux dissidents, en insistant sur la nécessité de les mobiliser, en nous plongeant dans un univers hautement singulier, profondément afrofuturiste : un terme mentionné pour la première fois par l’auteur américain Mark Dery dans son essai Black To The Future, paru en 1993, même si ce mélange de science-fiction et de mythologies africaines lui est antérieur.
Le titre de l’exposition, Matter Gone Wild – qu’il serait possible de traduire ainsi, « La matière est devenue sauvage » -, fait écho à cette réponse de Lynn Margulis et Dorion Sagan issue de leur ouvrage What Is Life ? (1995) : « Une matière devenue sauvage, capable de choisir sa propre direction afin de prévenir indéfiniment le moment inévitable de l’équilibre thermodynamique : la mort ». À l’occasion d’un film ou de diverses vidéos, le visiteur fait ici connaissance avec les figures révolutionnaires de Marthe Ekemeyong Moumié, (écrivaine camerounaise, membre de l’UPC 1 et leadeuse de la lutte pour l’indépendance du Cameroun) et de Persona (entité inclassable, conteur de chroniques afrofuturistes et révolutionnaire contemporain), ainsi que d’autres néo-avatars comme Saturna, L’alchimiste, le mixotrophe… autant de rencontres perturbantes, mystiques, qui ne manquent pas d’interpeller !
Troubler les repères de l’Occident
Dans la première salle, Josèfa Ntjam propose de prendre place dans deux « incubateurs de révolte », histoire de se mettre en condition et de se préparer à ce qui va suivre, qui est loin d’être simple. En atteste la présence de ces tutos et ces interviews très – voire trop – alambiqués visant à nous reconditionner, à nous interroger sur nos révoltes et nos rages, ainsi qu’à nous préparer physiquement à les laisser s’épanouir ! Une fois cet échauffement mental nécessaire exécuté, le voyage dans le monde afrofuturiste de Josèfa Ntjam peut commencer : le long d’un couloir qui mène à la dernière salle, le visiteur découvre alors quelques photomontages numériques et des grandes céramiques évoquant des antennes végétales à la beauté troublante. Ici, c’est désormais une certitude, tout est fait pour troubler les repères du monde occidental.
C’est donc dans cette ultime grande salle plongée dans l’obscurité que tout se joue. En son centre, ou presque, un surprenant totem noir faisant le pont entre le passé et le futur. Est-il la représentation d’une civilisation passée ou à venir ? Extraterrestre ? L’exposition laisse la question en suspens, comme beaucoup d’autres, nettement plus intéressée par la possibilité d’inviter le public à évoluer dans le flou, tel un archéologue découvrant un site inconnu suscitant illico son lot de mystères et d’interrogations.
En bout de course, des dioramas dans lesquels interviennent les personnages cités précédemment apportent heureusement quelques éléments de réponse, tout en accentuant cette confusion spatio-temporelle ! Une chose est certaine, la résistance du futur semble se préparer, via des réseaux inhabituels, comme les plantes dont nous savons désormais qu’elles peuvent être aussi salvatrices que destructrices. De là à regretter cette trop grande confusion ? Pas du tout : poétique, engagé et nécessaire, l’univers de Josèfa Ntjam fascine autant qu’il perturbe par sa volonté de confronter le visiteur occidental à un avenir qu’il n’avait pas envisagé et dont il ne connaît pas, ou mal, les fondations. Jusqu’au 27 janvier, l’artiste française l’y prépare intelligemment !