À Barcelone, le OFFF Festival célébrait début mai sa 25e édition. Avec, toujours, l’idée d’être un rendez-vous incontournable pour les artistes, les studios, les designers et les créateurs. Pep Salazar, son directeur, explique les raisons qui font de cet événement un moment si essentiel pour la communauté créative.
OFFF est un événement international, très réputé et de plus en plus populaire ces dernières années. Vous pourriez décider de prendre encore plus d’ampleur, mais vous choisissez de rester une communauté soudée, avec un format plus intime et un nombre de participants limité. Pourquoi ?
Pep Salazar : Cela permet d’avoir plus de contrôle sur l’événement, et d’offrir une meilleure expérience aux visiteurs. Avec l’expérience, j’ai compris que la communauté créative vient au OFFF pour être avec ses pairs et faire de nouvelles rencontres, mais de manière organique. Ils et elles viennent ici pour découvrir de nouvelles personnes, écouter des intervenants qu’ils ne connaissaient peut-être pas, mais aussi pour retrouver d’autres studios et échanger des idées. Je préfère donc limiter le nombre total de participants afin que ces rencontres naturelles puissent se produire. S’il y a trop de visiteurs, il faut organiser des points de rencontre, du matchmaking… Je préfère que les choses restent organiques, je pense que ça fait partie de l’ADN du festival.
Quelles autres raisons rendent OFFF si spécial selon vous ?
Pep Salazar : Plusieurs raisons, je crois. D’une part, il n’y a pas d’espace VIP. Tout le monde est sur un pied d’égalité, les intervenants comme les participants, car toutes et tous sont professionnels. OFFF est vraiment pensé pour sa communauté. Bien sûr, nous avons des partenaires et des sponsors parce que c’est nécessaire, mais ce n’est pas un événement commercial, qui a pour but de vendre quelque chose. C’est un événement créatif, pour la communauté. Donc les intervenants ne viennent pas seulement présenter leurs projets, mais aussi leur processus créatif, leurs inspirations et leurs outils.
« Il existe plein de très bons festivals de musique, mais ce n’est pas notre rôle. »
Le monde de l’art et du design contemporain est de plus en plus influencé par le financement privé et les marques : sponsoring, artistes choisis pour représenter une entreprise… Ce mélange entre intérêts publics et privés a-t-il changé selon vous ces dernières années ?
Pep Salazar : Pas tant que ça, pour être honnête. Je pense qu’il y une évolution, mais pas un changement fondamental.. Il y a toujours eu un fort intérêt des marques privées pour la créativité. Nous avons des marques de logiciels qui sponsorisent l’événement, et au final ce sont des outils pour les créatifs, donc ces alliances ont du sens pour le festival. Avec la croissance de l’industrie technologique, l’intérêt pour la communauté créative grandit également. Peut-être que c’est spécifique à Barcelone, je ne sais pas pour les autres villes, mais ici le public est vraiment curieux et à la recherche d’innovations et de créativité.
L’échec peut souvent être une source d’apprentissage. Pouvez-vous nous parler d’une tentative qui n’a pas fonctionné au festival par le passé ?
Pep Salazar : Je me souviens qu’en 2007, pour l’édition de Lisbonne, nous avions monté une scène musicale, avec de la techno. Ça n’a pas marché parce que nous ne sommes pas un festival de musique. Il existe plein de très bons festivals de musique, mais ce n’est pas notre rôle. Nous avons aussi essayé d’installer un restaurant à l’intérieur du festival, et ça a été un échec cuisant, je dois dire ! Les gens veulent sortir et discuter, ils ne viennent pas à OFFF pour s’asseoir dans un restaurant.
Pouvez-vous nous parler d’un « projet non réalisé » ? Que ce soit par manque de temps, de moyens ou d’autres raisons.
Pep Salazar : Nous avons beaucoup d’idées qui ne se sont pas encore concrétisées. Nous avons quelques projets, principalement dans l’édition. Nous aimerions publier un magazine annuel pour discuter des tendances en design et créativité, éditer des livres de design, etc. Côté digital, nous avons lancé un site appelé OFFF Academy pour dispenser des cours en ligne, mais cela n’a duré qu’un an.
Comment comprenez-vous l’impact des nouvelles technologies sur les designers et les artistes ? Principalement l’IA, mais pas uniquement ?
Pep Salazar : Depuis ses débuts, OFFF a toujours été lié à la technologie. Nous sommes nés en 2001, à l’époque où Flash (animations vectorielles, contenus interactifs et applications web – largement utilisé pour des dessins animés, jeux et sites web avant d’être remplacé par HTML5, ndlr) était une technologie extrêmement populaire, et à l’ère du développement web. Nous essayons de rester toujours à l’écoute des technologies les plus intéressantes à mettre en avant au festival. Ces vingt dernières années, nous avons été témoins des changements de la nature même des site web par exemple. Il y a vingt-cinq ans, il n’y avait pas de smartphones. Quand ils ont inondé le marché, le web a dû s’adapter, devenir responsive.
« Peut-être qu’un jour nous inviterons une IA comme intervenante… si c’est pertinent à ce moment-là, pourquoi pas ? »
Nous avons invité, au début des années 2000, des intervenants à parler de ce qu’on appelle aujourd’hui les réseaux sociaux, avant qu’ils n’émergent. Et aujourd’hui, bien sûr, on parle d’intelligence artificielle. Pour explorer ce sujet, nous préférons inviter des artistes qui travaillent directement avec l’IA pour qu’ils expliquent leur démarche et leurs processus de création. Ce qui est important pour nous, c’est de montrer qu’il y a des talents humains derrière ces outils. Peut-être qu’un jour nous inviterons une IA comme intervenante… si c’est pertinent à ce moment-là, pourquoi pas ? Nous sommes ouverts à toutes les technologies si elles sont pertinentes. En même temps, je ne veux pas alimenter le sentiment actuel autour de l’IA, qui voudrait que cette technologie finisse par dévorer l’intégralité de nos industries. Très honnêtement, je ne pense pas que cela arrivera.
Pouvez-vous nous parler de trois artistes, designers ou intervenants programmés cette année ?
Pep Salazar : J’aimerais parler de Niceaunties, une personne formidable. Elle a créé un personnage digital et travaille avec l’IA pour lui donner vie, je recommande vraiment son travail. Ensuite, je mentionnerais Brosmind, un duo composée de deux frères de Barcelone. Nous avons une relation spéciale : ils n’avaient pas parlé à OFFF depuis dix ans, donc je les ai invités cette année pour célébrer cet anniversaire. Enfin, je recommanderais tous les artistes de la série mapping. Bruno Ribeiro, Pichi Avo, Pokras Lampas, Boldtron, Alexander Wessely, David Oku, OUCHHHH, ou encore Tina Tictone. C’est la première fois que nous faisions des projections grand format sur la façade du Design Museum, pour célébrer notre 25e anniversaire. J’espère sincèrement que les visiteurs ont apprécié.