Depuis le 10 décembre, la Gaîté Lyrique est occupée par près de 400 mineurs isolés sans papiers, qui revendiquent leur droit au logement. Une situation alarmante, qui menace la survie de la salle parisienne et incite les salariés à appeler à « une résolution rapide ».
Le mercredi 11 décembre, la rédaction de Fisheye Immersive s’est rendue à la Gaîté Lyrique pour découvrir, accompagnée d’autres journalistes, la nouvelle exposition de l’espace dédié aux cultures post-internet, PULSE. Si l’on s’attendait à être accueillis par les commissaires de l’exposition, c’est Juliette Donadieu, Directrice générale de l’institution parisienne, qui a d’abord pris le micro pour nous annoncer la nouvelle : la veille, à 18h, le collectif Les Jeunes du parc de Belleville a décidé de s’installer dans le lieu du 3ᵉ arrondissement. Le tout avant de passer le micro à deux représentants de l’association, qui ont tenu à profiter de la présence de cette délégation de journalistes pour expliquer leur situation désastreuse.
« La question n’est pas logistique. Elle est politique. »
Si la direction nous assure qu’ils resteront ouverts malgré cette occupation, une semaine plus tard, la Gaîté Lyrique ferme, comme annoncé sur leurs différents réseaux sociaux : « La situation ne nous permet plus d’accueillir le public dans les meilleures conditions. » Une situation complexe à laquelle l’espace culturel répond de la meilleure des manières, interpellant à de multiples reprises les politiques sur Instagram : « La Gaîté Lyrique regrette le caractère subi et soudain de cette occupation, mais rappelle le caractère légitime de la revendication du collectif visant à obtenir un toit pour ces 250 personnes », ont rapidement tenu à souligner les équipes du lieu.
Plus loin, ces dernières soulignaient également leurs convictions sociales : « À défaut de quelque proposition concrète de relogement de la part de la Ville de Paris ou de l’État, il est impensable, au risque de les mettre en danger, de rejeter ces personnes à la rue, au milieu du mois de décembre, alors que les températures avoisinent 0°. Faut-il attendre que la situation se dégrade encore davantage, ou qu’il y ait des victimes pour que cesse cette inaction des autorités compétentes et responsables ? La Gaîté Lyrique demande instamment à la Ville de Paris de trouver sans délai une solution de relogement pour ces 250 jeunes, et ce quelle que soit la position de l’État. »
Le silence de l’État
Cette première étape a rapidement été prolongée par une lettre ouverte adressée à Anne Hidalgo, publiée dans Libération, dans laquelle la Gaîté Lyrique demande à la mairie de Paris de prendre urgemment en charge le relogement des 250 jeunes qui sont dans un premier temps installés dans ses locaux depuis le 10 décembre. « Nous déplorons cette absence de dialogue entre les services de l’Etat et ceux de la Ville de Paris. (…) La Gaîté lyrique est seule, et forcée de choisir entre son obligation réglementaire en tant que concessionnaire de ce lieu et son devoir moral, celui de ne pas rejeter ces personnes à la rue, au milieu du mois de décembre, alors que les températures avoisinent 0°. C’est pour nous impensable », expliquent les représentant dans cette tribune.
Avant d’interpeller directement la Mairie : « Nous savons, et les équipes de la mairie de Paris nous l’ont confirmé à maintes reprises, qu’il y a des lieux pour accueillir ces jeunes, des lycées vides, des gymnases mobilisables. La capitale ne manque pas de locaux vacants. Et comment imaginer qu’elle ne serait pas en mesure d’héberger en urgence 250 jeunes quand elle a su le faire pour accueillir avec brio plus de 11 millions de personnes il y a à peine trois mois, pour les Jeux olympiques et paralympiques ? Non, la question n’est pas logistique. Elle est politique. »
Un interminable bras de fer
Car oui, le Collectif des jeunes du parc de Belleville, né il y a près d’un an et demi, n’en est pas à sa première occupation et s’est installé quelques mois avant les JO à la Maison des Métallos, avant de trouver un logement temporaire. Pour les délégués, interrogés par Libération, cela à tout à voir : «Ils avaient peur que l’on gâche la fête. Mais cette fois il n’y a rien. Je pense que cette situation peut durer encore très longtemps. Aujourd’hui, nous sommes 300 jeunes, mais peut-être qu’on sera 500 dans deux mois, parce qu’on ne laissera personne à la porte.»
Plus d’un mois après le début de cette occupation, la situation reste inchangée, si ce n’est le nombre de jeunes qui croît de semaine en semaine. Face à l’inaction de la Mairie de Paris, des militants de l’association Utopia 56 ont rejoint la bataille pour aider les jeunes dans leurs démarches administratives. Entre la Gaîté et les occupants, les rapports se tendent, la fatigue se fait ressentir et la frustration face au manque d’action des pouvoirs politiques se ressent. Sans, jamais, que l’espace ne revienne sur sa décision. « On entend des gens qui se lâchent de plus en plus, ils expliquent qu’on devrait demander une évacuation. Au-delà de la violence que cela représenterait, vous pensez qu’une institution culturelle qui a pour but de créer du lien peut sciemment demander l’expulsion de 300 jeunes à la rue en plein hiver à Paris ? On marche sur la tête », conclut David Robert, qui s’occupe aussi d’un programme d’accueil de réfugiés au sein de l’ONG Singa, l’un des cinq organismes à la tête de la Gaîté lyrique, toujours pour Libération.
Alors que le cap des 50 jours d’occupation a été dépassé la semaine dernière, c’est hélas aux employés de faire désormais entendre leur colère. Fiers de la manière dont leur Direction gère la situation, « avec responsabilité et transparence », ces derniers regrettent malgré tout les reports et annulations qui s’accumulent, de même que la mise en place du chômage partiel. Tout en rappelant, une fois de plus, le cœur du problème : « Il est vrai que nous subissons cette situation. Il est néanmoins impensable de rejeter plus de 400 personnes à la rue sans solution de mise à l’abri, et de surcroît en hiver ».