Être artiste, c’est permettre la rencontre avec une œuvre, une pensée, un thème, une esthétique. Pour ce faire, il faut d’abord, du côté de l’artiste en question, s’être fait reconnaître. C’est l’objectif de cette série de mini-portraits pensés comme des premiers points d’accroche avec de jeunes artistes et leurs univers si singuliers. Ce mois-ci, Fisheye Immersive s’intéresse à Mary-Audrey Ramirez, artiste plasticienne qui utilise l’IA pour créer de nouvelles mythologies numériques au sein du monde réel.
Un élément biographique
Née au Luxembourg en 1990, Mary-Audrey Ramirez s’envole pour Berlin alors qu’elle est à peine âgée de 20 ans dans l’idée d’étudier auprès de l’artiste Thomas Zipp à l’Université des Arts de la capitale allemande. L’expérience s’étire de 2010 à 2016, et fait naître une vocation : travaillant notamment avec l’intelligence artificielle, Mary-Audrey Ramirez imagine depuis des créatures monstrueuses inspirées des univers virtuels afin de les intégrer au monde physique. Une démarche remarquée par de nombreuses institutions puisque l’artiste, représentée par la Martinetz Gallery (Cologne), a été largement récompensée pour ses œuvres sculpturales et picturales, notamment en 2019, année où elle reçoit le prestigieux prix Edward Steichen au Luxembourg.
En 2022, la jeune femme est également reçue à l’ISCP de New York, une résidence américaine à la réputation internationales. Quant à ses œuvres, elles ont depuis été exposées à Esch2022 + Ars Electronica (Luxembourg/Linz), Dortmunder Kunstverein (Dortmund), Kai 10 (Düsseldorf) ou à la Margot Samel Gallery (New-York). Signe d’une carrière qui prend de l’ampleur : en février 2024, Mary-Audrey Ramirez a également inauguré sa première exposition personnelle sur ses terres, au Casino Luxembourg.
Une oeuvre
Conçu pour son solo show au Casino Luxembourg, le jeu vidéo Forced Amnesia force la rencontre entre réalité et fiction. En invitant les spectateurs à jouer, Mary-Audrey Ramirez leur fait découvrir l’intégralité de son travail, aussi bien au niveau esthétique qu’idéologique. Ici, pas de héros à incarner pour vaincre les grands méchants, mais bien une multitude de personnages à contempler. En clair : la Luxembourgeoise prend le contrepied des codes dominants du jeu vidéo, qui veulent faire de l’action permanente le principal moteur d’une expérience ludique, pour privilégier l’observation, voire même l’ennui. « C’est apaisé, peut-être un peu ennuyant. Les gens ont un problème avec l’ennui aujourd’hui », constate l’artiste dans les colonnes d’Usbek & Rica. Manière de revendiquer le côté fantasque de son univers fantasque, au sein duquel on se balade virtuellement, tout en affirmant sa volonté d’inviter chaque joueur/spectateur à venir compléter son imaginaire.
Une actualité
Actuellement exposée à Arles dans le cadre du festival Octobre Numérique, Mary-Audrey Ramirez investit la Chapelle des Trinitaires, située en plein centre-ville, de son bestiaire fantastique. Dans un décor violet, directement inspiré de la série de jeux vidéo médiéval-fantastique Dark Souls, un monstre tentaculaire côtoie une multitude de rats étranges, des guêpes pourpres meurtrières et d’autres créatures XXL non-identifiées. Un drôle d’ensemble aux corps difformes et aux yeux globuleux que l’artiste décline sur différents supports, de l’impression 3D aux toiles de satin.
Imaginés à partir du logiciel de génération d’images Stable Diffusion, version 2022, ces extraterrestres s’opposent à une forme d’homogénéisation du « bizarre », un monde dans lequel toutes les créatures seraient mignonnes, inoffensives. « Il est très important, pour moi, qu’on ne sache pas, face à elles, à quoi on a affaire exactement, si ce sont des créatures inoffensives ou hostiles, mâles ou femelles », indiquait-elle au média luxembourgeois Culture en juillet dernier. Ou comment, l’air de rien, jeter le trouble dans le monde vidéoludique et les notions de genre, rarement aussi complexes (et donc magnétiques) que lorsqu’ils viennent nourrir l’esprit d’artistes attirés par les récits alternatifs.
- Mary-Audrey Ramirez, Octobre Numérique, jusqu’au 10.11, Chapelle des Trinitaires, Arles.