Peintre de formation, Jérémy Couillard se forme sur le tas à la programmation et aux outils informatiques. Depuis, l’Américain de 44 ans se plaît à imaginer des œuvres interactives à mi-chemin entre jeux vidéo et art numérique, et enchaîne les expositions au sein des institutions les plus prestigieuses. À l’image de sa première grande monographie, qui prend place au List Visual Arts Center de Cambridge, dans le Massachusetts.
Oui, Jérémy Couillard est diplômé d’un Master de peinture de l’Université Columbia. Pourtant, ni toiles, ni tubes d’acrylique ne figurent dans la pratique de ce New-Yorkais d’adoption. Ses peintures se découvrent virtuellement, au détour de jeux vidéo et d’animations 3D, d’installations vidéos et de projets numériques, et s’apprêtent à être exposés au List Visual Arts Center de Cambridge, dans le Massachusetts, à l’occasion d’ une première grande exposition personnelle à découvrir du 18 juillet au 6 octobre 2024.
Relier le physique au numérique
L’événement s’organise autour du dernier jeu vidéo de l’artiste, Escape from Lavender Island (2023), une dystopie qui se déroule dans une ville fictive contrôlée par la très angoissante Lavender Corporation. Késako ? Une expérience aussi ludique que critique pensée par Jérémy Couillard pour mettre en lumière un paysage léché, peuplé de sculptures énigmatiques ou de masques étranges. Ce ne pourrait être là que l’illustration de la maîtrise technique de l’Américain, dont les sculptures en bois et les éléments de design visibles au sein de l’exposition sont précisément là pour transposer les objets fantastiques du jeu dans l’espace physique. C’est avant tout la complexité de son imagination qui se déploie ici, à l’image de cette scénographie particulièrement étudiée dans laquelle le jeu est présenté sous forme d’installation, cerné d’objets en 3D apparaissant sur l’île de Lavender et garantissant une immersion totale.
Jeu de la mort
Complètement barré, Escape from Lavender Island est à l’image des vingt ans de carrière de cet OVNI méconnu du monde de l’art, caractérisé par un univers volontiers fantaisiste et hallucinatoire, qu’il manipule au gré de ses envies, tantôt via la réalité virtuelle, tantôt via des installations ou des jeux vidéo. Mention spéciale à Alien Afterlife, où des extraterrestres ont envahi les limbes et volé la machine dont les morts ont besoin pour se réincarner. On pense alors à Tim Burton, et on se dit que Jérémy Couillard, à l’instar du réalisateur américain, n’est pas de ces artistes déconnectés des enjeux sociaux et politiques contemporains.
On est même convaincu qu’à travers ses jeux et ses installations immersives, l’artiste visuel pousse le spectateur à s’interroger sur sa condition d’homme et sur le monde qui l’entoure, n’hésitant pas via Escape from Lavender Island à pointer du doigt la violence systémique des États capitalistes. Paraîtrait que cette thématique lui ait été inspirée par la pensée de l’anthropologue américain David Graeber, Ça donne évidemment de l’épaisseur à son propos, mais ça ne dit pas à quel point Jérémy Couillard a peut-être trouvé là, au sein de sa première monographie américaine, un moyen de célébrer dignement les noces de l’art contemporain et du jeu vidéo.
- List Projects 30, Jérémy Couillard, du 18.07 au 06.10, MIT List Visual Arts Center, Cambridge, Massachussets.