Antoine Fontaine et Galdric Fleury, membres du duo d’artistes fleuryfontaine, utilisent le game design pour produire des œuvres visuelles ancrées dans des contextes sociaux et politiques forts.
Depuis leur rencontre, actée sur les bancs de l’école Paris Malaquais, Antoine Fontaine et Galdric Fleury forment une entité créative soudée. Diplômés en architecture, les deux Français ont ensuite étudié la modélisation 3D d’espaces virtuels et, ex-joueurs, ont expérimenté ces univers de l’intérieur avant de s’en inspirer. Autre point commun : leur activisme en faveur de la justice, leur engagement contre les oppressions.
Restituer des réalités cachées
Leur première production cinématographique, Ange, date de 2019, et part d’une enquête menée sur Facebook, où fleuryfontaine sont parvenus à entrer en contact avec Ael, un jeune hikikomori du sud de la France, qui passe beaucoup de temps à jouer aux jeux vidéos et ne sort plus de sa chambre depuis des années. Dans un premier temps, le duo entretient avec lui une correspondance virtuelle, sans jamais voir son visage, dans l’idée d’utiliser ses confessions afin de reproduire son univers intime : une cabane dans le jardin de la maison familiale.
Sur la forme, Ange est à la fois un environnement 3D que l’on parcourt en liberté conditionnelle, tant l’espace où évolue Ael est reclus, et un film bouleversant qui restitue une situation à laquelle par défaut personne n’a accès. Le duo explicite ses intentions : « On se réapproprie l’image de synthèse pour documenter quelque chose qui n’existe plus, qui n’existe pas ou qui n’est pas atteignable ». Par la suite, Antoine Fontaine et Galdric Fleury se sont attaqués à des sujets plus subversifs. D’abord, les bavures policières, via le film d’animation Contraindre (2020), où les scènes de plusieurs cas de violences sont rejouées à l’aide de combinaisons de motion capture par des danseuses. Puis, les principales victimes de ces bavures avec Pax, une installation multi-screens en forme de corps fragmenté créée à partir de photos de blessures authentiques. « Ça fait cinq ans qu’on a été happés. C’est un sujet très complexe, qui peut être pris par plein d’angles différents. » Certains niant encore la dénomination de « violence policière », voire même leur existence, cela légitime l’envie du duo de travailler le sujet.
Documenter autrement
Sur le fond, fleuryfontaine part systématiquement d’images, de données et de sources réelles (caméras de surveillance, photos de téléphone, enregistrements…), bien qu’elles ne soient généralement pas montrées. Ce sont, à en croire Antoine Fontaine, des « images pauvres, disqualifiées, clandestines ou illégitimes, à partir desquelles on retravaille pour combler les vides et reconstituer la face cachée des faits. Une manière de les rendre crédibles, de pointer du doigt le fait que ces images sont importantes. »
Leur démarche côtoie de près l’« architecture forensique », qu’ils définissent de la façon suivante : « Ça regroupe de vieilles techniques des sciences légales avec des pratiques plus accessibles à tous, au service de la justice. C’est la reconstitution en images de synthèse d’un endroit où il s’est passé quelque chose, un événement. Par exemple un crime de guerre. C’est une architecture légale, où chaque détail s’appuie sur un faisceau de preuves matérielles, que ce soient des témoins, des photos… Quand on arrive à faire de cette reconstitution une preuve par elle-même, on a gagné. »
Au cours des dernières années, le duo a même collaboré avec l’association Index, spécialiste du domaine, et permis à plusieurs affaires, sinon d’avancer, du moins d’être médiatisées. Malgré tout, Antoine Fontaine et Galdric Fleury tiennent à séparer ce travail de leurs projets artistiques, porteurs d’un regard subjectif assumé : « Déjà, on ajoute de la narration par rapport au travail purement analytique que sont nos vidéos pour Index. On est aussi davantage dans l’interprétation, la lecture partielle et partiale d’un fait, que le registre de la preuve. De cette façon, la 3D nous permet de mettre à distance, d’esthétiser le réel, ne serait-ce que pour ne pas faire oublier que tout ça n’est qu’un spectacle, même s’il part du réel et qu’on l’espère percutant ». Traduction : le travail de fleuryfontaine se situe intelligement à la croisée des chemins, entre documentaire, fiction et art expérimental.
« Contourner le problème des images virales »
Dans leurs vidéos, ni hyperréalisme ni surenchère. Antoine Fontaine et Galdric Fleury se distinguent de l’usage racoleur que font les grands médias de photos et vidéos (parfois volées) de réalités crues. Ce qu’ils veulent, c’est produire des images sans dommages collatéraux, qui n’abiment pas la dignité ou la mémoire de certaines personnes. Pour cela, la 3D s’avère un moyen de préserver les identités et corps de ceux qui sont touchés par les violences représentées. Rien n’est montré frontalement, tout est recréé dans une version méconnaissable. Quant à l’image de synthèse, nous dit Antoine, elle permet de « contourner le problème des images virales, vues et revues, qui créent des sortes d’anticorps et font qu’on ne les regarde plus vraiment. »
Ces derniers temps, fleuryfontaine espère ainsi développer des formats originaux, plus percutants que le réel brut. A discuter avec le duo, on comprend ainsi qu’il travaille actuellement sur un nouveau film lié à l’histoire d’Adnane Nassih, sur laquelle ils avaient investigué aux côtés d’Index et d’un journaliste de Libération. Soit l’histoire d’un jeune homme de 19 ans ayant perdu son œil à Brunoy, en 2020, suite à un tir de LBD40 par un policier que divers enregistrements mettent en cause.
Au montage, les deux comparses prévoient différents effets, comme la cristallisation des derniers mouvements avant l’impact d’Adnane Nassih en une série de poses fixes rendant palpable le moment tragique d’une vie sur le point d’être brisée. À cela s’ajoute également un travail sur les écussons de police. De la mygale à la fleur de lys, en passant par les têtes de mort et slogans fascistes… Des symboles qui s’affichent au grand jour sans qu’on les remarque et qui, pourtant, en disent long sur la façon dont la police se perçoit elle-même. « Ce sont de vraies images, de vrais objets qui existent. Les reconstituer nous permet de zoomer sur les détails et les replacer au centre de l’attention », poursuit Galdric. Avant de laisser Antoine prendre la parole, et de conclure d’une même voix : « Il est possible qu’après ce film, on lâche un peu la police pour un temps. La profusion de violence devient difficile à suivre, on a besoin d’une pause policière ».