Observer les astres, les météorites et les comètes autrement qu’avec des télescopes, c’est là l’ambition d’un festival dont la 9e édition aborde l’espace pour être au plus près des préoccupations actuelles.
L’espace n’a jamais été un simple territoire à explorer, c’est une sensation, une mémoire, un voyage intérieur, un lieu idéal pour questionner les écosystèmes naturels et comprendre, via l’infiniment grand ou l’infiniment petit, les secrets de notre réalité. Au centre de la programmation artistique des lieux culturels ces derniers mois – Derrière les étoiles au Cube Garges, Stellar Scape au Pavillon de Namur, Encoder l’espace au Centre des Arts d’Enghien les Bains -, le spatial continue d’être disséqué par les Safra’Numeriques, à Amiens. Moins dans l’idée d’embrasser les grands discours de la conquête spatiale chère à Trump et Musk que de proposer une contemplation. « Les 28 installations présentées cette année posent un regard sur les astéroïdes, les météores, le soleil ou les étoiles, explique Cécile Welker, chargée de la programmation du festival. C’est aussi une opportunité de montrer le minéral, et donc de s’intéresser au micro-organismes. »
Big bang theory
Hasard ou non, l’une des œuvres inédites de cette 9e édition se nomme Microcosmos (2025), et prend la forme d’un film documentaire de l’artiste-chercheuse Agathe Simon. Basés sur des images tournées en 2023 au nord-ouest de l’Argentine, à 5 000 mètres d’altitude, ces douze minutes racontent la rencontre de Yolanda, une éleveuse de lamas basée sur place, et Beatriz, une cosmologiste. Deux parcours de vie et deux visions qu’a priori tout oppose au sujet de l’origine du monde (l’une est religieuse, l’autre scientifique), réunies pourtant autour de mêmes questions : Pourquoi sommes-nous ici ? D’où vient l’univers ? Comment a-t-il évolué ?
De ce lieu hautement singulier, où un télescope révolutionnaire visant à observer les premiers instants de l’univers (QUBIC) vient d’être installé, Agathe Simon extrait les pensées qui agitent l’humain, interroge le rôle de la science – à quoi pourrait-elle bien servir si nous avions déjà toutes les réponses de notre présence sur Terre ? – et réconcilie dans un même geste savoirs religieux et théories scientifiques. Après tout, ne sont-ce pas là avant tout des hypothèses ? « Peut-être que ce que nous cherchons n’existe pas », dit la voix off, cristallisant en une phrase le mystère qui entoure aussi bien notre existence que ce qui se joue dans le cosmos.
À la recherche d’une poésie spatiale
En invitant le public à poser sa main sur un capteur tactile connecté à une météorite (Recombinaison, 2015), Véronique Béland entend justement faire parler le cosmos, le geste initial provoquant l’impression d’un message unique généré par la fluctuation d’ondes radio en provenance de l’espace. Une forme de « poésie spatiale » qu’encouragent également Béatrice Lartigue & Nicolas Guichard via Novae (2022), une installation immersive dont l’intérêt est moins d’avoir la sensation de contempler des étoiles que de s’interroger sur le déroulement du temps, de se confronter à des visions et des lumières surgies du passée, car provenant d’étoiles parfois mortes depuis plusieurs millions d’années.
Tout aussi poétique est l’installation immersive Oh Lord (2022) – une projection vidéo prolongée par un jeu de lumière à l’intensité variable -, où Guillaume Marmin condense et manipule 1 500 images puisées dans différentes bases de données (dont la NASA) afin d’illustrer les activités solaires, quitte à parfois éclipser l’astre en grande partie pour mieux se focaliser sur sa texture, ses particularités, sa surface.
Notre existence au microscope
Voir, entendre ou ressentir l’imperceptible est l’un des grands enjeux de cette 9e édition des Safra’Numériques, de préférence dans des installations qui détournent ce que l’on sait d’un laboratoire scientifique – avec La perception de l’astronome (2022), Lucien Bitaux recrée un cosmos à l’aide de sculptures optiques, dans une sorte d’hommage à l’art cinétique et à l’op art -, et des œuvres VR où l’introspection collective des spectateurs-créateurs génère la création de paysages virtuels inspirés par la peinture romantique allemande (Creative Harmony de Julien Lomet). Pensons aussi au jeu vidéo biotique de Dominique Peysson (Biotic Game, 2025) reprenant l’esthétique des jeux d’arcade type Space Invaders et permettant, via un joystick, d’interagir avec un monde microscopique. Celui des daphnies, de petits crustacés mesurant quatre millimètres tout au plus, que l’on peut décider de sauvegarder ou de tuer au nom de la science. Avec, toujours, cette question en tête : quel est l’impact de nos robots et des avancées biotechnologiques sur la vie de ces micro-organismes ?
Soucieux d’être à la fois ludique et éclairant, c’est lorsque le festival amiénois privilégie les œuvres questionnant notre écosystème terrestre qu’il saisit au plus point. Parce que cela lui permet de documenter la fragilité de nos ressources, voire même de notre existence. Et parce que ces préoccupations agitent l’esprit d’une jeune création ici incarnée par les coraux artificiels de Julie Everaert, artiste lilloise accompagnée par La Malterie, ou l’installation interactive et immersive du collectif Onyo, très belle, très spirituelle, où le public est invité à favoriser la régénération d’une rivière en partageant souvenirs personnels et vœux intimes. Le tout, dans une démarche collaborative qui synthétise l’ambition d’un des (trop) rares festivals d’art numérique français à défendre une proposition exigeante sans jamais omettre la mixité sociale et l’accessibilité de son offre.
« Les cinq jours des Safra’Numériques sont un condensé du travail réalisé par les équipes du Safran tout au long de l’année », résume Ikbal Ben Khalfallah, Directeur du Safran, peu intéressé à l’idée de proposer un énième festival élitiste destiné aux professionnels ou aux CSP+. « Ce qu’on veut, c’est désacraliser la culture numérique et favoriser les croisements entre les publics et les générations ». La démarche pourrait paraître lunaire pour la plupart des institutions, parfois financées par des grosses entreprises, souvent déconnectées du territoire qu’elles habitent : à voir la variété de publics se déplacer au sein des trois étages du Safran, qui ressemble soudain à une ruche foisonnante, elle n’a peut-être jamais paru aussi maîtrisée et essentielle.
- Safra’Numériques, jusqu’au 22.03, Le Safran, Amiens.