Durant l’été, de mi-juillet à fin septembre, Fisheye Immersive part à la rencontre de huit artistes numériques venus du monde entier, profondément créatifs et déterminés à expliquer leur travail, démocratiser leur approche créative. Première invitée : Sam Madhu, dont les tatouages numériques à l’esthétique cyberpunk ont particulièrement séduit lors de la dernière édition du Palais Augmenté.
Quel impact penses-tu que les technologies numériques, VR ou immersives auront sur les propositions artistiques, les musées ou les galeries dans les années à venir ?
Sam Madhu : Je pense que nous sommes aux prémices d’un nouveau média, en plein cœur d’un moment important dans l’histoire de l’art. Tout simplement parce que les outils numériques représentent de nouvelles façons de créer, de penser, d’expérimenter l’art et les idées. Si on part du principe que l’art est la présentation d’une nouvelle perspective, d’une réalité alternative ou d’une incursion dans l’esprit de quelqu’un, alors tous ces outils numériques sont probablement le moyen le plus pertinent de réaliser toutes ces choses, dans le sens où nous avons désormais la possibilité de façonner des réalités alternatives à partir de rien.
L’art numérique, selon moi, est une évolution de l’art traditionnel, il permet d’imaginer une nouvelle dimension à la façon dont nous nous immergeons au sein de l’expérience artistique. Et puis, il faut le dire, nous ne sommes encore qu’au début de cette histoire, et les possibilités semblent infinies.
De ton côté, as-tu l’impression que les arts numériques/immersifs te permettent de délivrer plus concrètement un message impossible à défendre sous une autre forme ?
Sam Madhu : Personnellement, j’ai l’impression que l’art numérique est le seul médium qui me permette de créer ce que je veux faire vivre aux gens. J’ai l’impression de n’avoir aucune limite, d’avoir un contrôle total sur le corps à l’intérieur de mon espace de travail, de maîtriser l’échelle, la lumière, la physique et même la biologie. En fait, quand on y pense, l’artiste digital est un Dieu, dans le sens où il crée son propre monde et en a le contrôle total.
Personnellement, j’aime ce médium parce que j’ai l’impression de contribuer à l’avancement de la race humaine. Bien sûr, le processus de création lié à la peinture ou au dessin peut parfois être plus agréable que celui lié à l’art numérique, mais le sentiment de satisfaction que procure l’œuvre achevée n’est rien en comparaison. Lorsque les gens sont émerveillés par ce que vous avez créé et se demandent comment vous avez pu faire quelque chose d’aussi impressionnant, le sentiment d’accomplissement est incomparable. C’est comme si on avait l’impression d’avoir résolu un problème complexe, et que toutes les difficultés rencontrées pour y parvenir en valaient la peine.
À titre personnel, comment utilises-tu les outils numériques au sein de ton processus de création ?
Sam Madhu : Je travaille avec des corps numériques. J’utilise donc des modèles numériques qui me permettent de contrôler leur peau, leurs yeux, leurs cheveux et d’autres caractéristiques. Je contrôle ce qu’ils font de leurs corps, leur taille, s’ils peuvent défier la réalité, etc. Ils peuvent être plus grands qu’un gratte-ciel ou plus petits qu’un grain de riz. Je peux aussi construire des villes à partir de rien, des ciels avec un million de couleurs, des océans remplis de mercure : tout est envisageable.
À l’heure du numérique, on dit que n’importe qui peut se revendiquer artiste, que « pousser quelques boutons » (pour reprendre une phrase lue dans certains articles…) ne fait pas de nous des artistes. Quel est ton point de vue là-dessus ?
Sam Madhu : Je pense que si quelqu’un se considère comme un artiste, c’est tout simplement qu’il l’est. Qu’il appuie sur quelques boutons ou qu’il passe des mois sur son travail, je ne pense pas que cela ait vraiment d’importance. Ce qui rend une œuvre d’art impressionnante, c’est l’œil de celui qui la regarde. Je ne pense pas qu’un minimum d’efforts soit synonyme de facilité, d’art mauvais. Je pense que le sentiment que le public éprouve en voyant l’œuvre d’art permet de mesurer véritablement l’impact de notre travail, sa profonde signification.
Tu vis depuis quelques années à Berlin : tu as l’impression que cette ville est ce qui se fait de mieux en termes d’arts numériques/immersifs ?
Sam Madhu : J’ai effectivement choisi de m’installer ici par attrait pour la scène artistique numérique. Cela dit, maintenant que j’y suis, j’ai l’impression que l’on peut être artiste numérique n’importe où dans le monde. Je reconnais que Berlin et l’Europe m’ont beaucoup appris sur la manière de voir l’art, d’expérimenter et de dialoguer avec des artistes hyper intéressants, mais, en fin de compte, je ne pense pas que le fait de vivre dans un endroit particulier apporte tant que ça. Le plus difficile, finalement, c’est d’avoir la volonté de poursuivre ce que l’on veut, et de maintenir cette volonté.