Une brève histoire des relations entre l’art et les jeux vidéo (1/6): l’Amiga 500, un micro-ordinateur pensé pour les artistes

Une brève histoire des relations entre l'art et les jeux vidéo (1/6): l'Amiga 500, un micro-ordinateur pensé pour les artistes

Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive tente de faire taire les mauvaises langues : non, l’art et les jeux vidéos ne sont pas si éloignés. Bien au contraire ! Premier exemple avec l’Amiga 500, un outil numérique mis au service de l’avant-garde artistique.

Ah, l’Amiga 500… Sans doute l’ordinateur le plus accessible de la famille Commodore ! Sorti en 1987, deux ans après le carton du Commodore 64, celui-ci séduit rapidement les apprentis développeurs grâce à son prix imbattable (4490 francs, soit environ 685€) et ses hautes performances – à titre d’exemple, l’Amiga 500 est l’une des premières machines à afficher les couleurs, et à permettre une gestion multitâche. Il s’agit donc de l’outil parfait pour les fans de jeux vidéo… et les artistes, comme le souligne le spécialiste des jeux vidéos Peter Pescari dans sa conférence itinérante : « Amiga, à l’avant-garde de la création numérique ».

Une machine avant-gardiste

Créé par Jay Miner et Larry Kaplan, d’anciens employés d’Atari qui détenait alors une sorte de monopole sur le marché informatique, Hi-Toro – devenu par la suite Amiga Incorporated en 1982 – s’impose rapidement comme une console de jeu à part entière, plus que comme un simple PC. À contre-courant des tristes interfaces noires et vertes d’IBM, l’Amiga 500 et sa palette de 4096 couleurs apparaissent comme une aubaine pour les amateurs de jeux vidéo. Atari domine alors ce domaine de façon un peu paresseuse, ce qui pousse Jay Miner à vouloir aller plus loin : « J’ai voulu pendant des années construire un super ordinateur personnel basé autour du microprocesseur Motorola 68000. Atari avait refusé et c’était là ma grande chance, expliquait-il au sujet de sa création. Tant qu’il pourrait être vendu dans une version allégée bon marché pour les jeux vidéo, Dave Morse et les investisseurs financiers étaient heureux. Tant qu’il était illimité dans ses capacités d’extensions en tant qu’ordinateur familial de haut niveau, j’étais heureux. » Petit prix et grandes capacités : l’Amiga 500 explose et se vend à plus de 5 millions d’unités l’année de son lancement !

L’outil préféré des artistes

Une machine graphiquement en avance sur son temps : voilà ce qu’est l’Amiga 500. Il n’en fallait pas plus pour que les développeurs indépendants de jeux vidéo s’en emparent, suivis de très près par les artistes les plus avant-gardistes, qu’ils soient visuels ou sonores. « À l’époque, il fallait toutes sortes de matériel pour faire de la musique, mais le simple fait d’avoir l’échantillonneur de son Amiga et OctaMed vous permettait de mettre de bonnes idées sur papier sans avoir besoin de louer un studio, se souvient le producteur Marlon Sterling, aka Equinnox. C’était le studio du pauvre – même le logiciel était gratuit ! » Il faut dire que, dès le début, Amiga et la musique étaient liés, la carte mère de chaque ordinateur ayant alors le nom d’une chanson de B-52s, ce groupe américain de new wave dont l’un des ingénieurs était visiblement très fan. Pour l’A500, c’était « Rock Lobster ».

Visuellement, si les jeux vidéo tels que Speedball ou Dragon’s Lair régalent les fous de graphisme, les possibilités offertes par le processeur vidéo principal Denise ont également de quoi séduire les pionniers de l’art digital. En fonctionnement normal, Denise autorise entre 1 et 5 bitplanes, ce qui donne 2 à 32 couleurs uniques. Ces couleurs sont sélectionnées dans une palette de 4096 couleurs, ce qui est relativement élevé (et impressionnat) pour l’époque, surtout compte tenu du prix dérisoire de la machine. L’artiste Jean « Moebius » Giraud (à qui l’on doit la BD Blueberry ou la conception graphique d’Alien et de Tron) remercie ainsi l’Amiga, qu’il avait acheté pour son fils, de lui avoir appris à « utiliser des programmes de peinture ». Par le passé, ce dernier a d’ailleurs mis en ligne certaines de ses premières expériences sur les forums de partage de fichiers de CompuServe.

Très vite, une communauté d’artistes se forme donc autour de la machine et nourrit ce que l’on appelle la démoscène, aujourd’hui encore alimentée par des fans des graphismes rétro de l’ordinateur. Parmi eux, on retrouve notamment Tom Fulp, qui l’utilise pour créer des dessins animés, Rolf Harris, qui numérise ses œuvres d’art dessinées à la main pour l’animation de sa série télévisée, Rolf’s Cartoon Club et les pionniers de l’art numérique, ou encore Laurence Gartel et Jeff Bruette, qui en apprennent toutes les subtilités pour permettre à Andy Warhol d’utiliser sa version suivante : l’Amiga 1200. 

Vision pixelisée d'un portrait d'Andy Warhol
Andy Warhol, Andy2, 1985 ©Andy Warhol Museum

L’an 1200 après Amiga 

S’il y a bien un nom que retient l’histoire de l’art au moment de survoler les pages liées à l’Amiga, c’est celui d’Andy Warhol. Devenu ambassadeur de Commodore International en 1985, le pape du pop-art se voit offrir un Amiga 1200 avec pour mission d’utiliser le nouveau logiciel informatique ProPaint. Selon le Directeur Financier, Donald Greenbaum, « Andy Warhol fut captivé par ce nouveau média et il passa beaucoup plus de temps avec nous que prévu ». Pour le lancement, Commodore a prévu une performance théâtrale, dans laquelle Warhol se produit sur scène au Lincoln Center aux côtés de la chanteuse de Blondie, Debbie Harry, afin de réaliser son portrait en live. La mayonnaise prend et Warhol continue d’utiliser sa machine en toute discrétion, que ce soit pour numériser ses boîtes de soupe ou réaliser une Vénus de Botticelli informatique.

Plus de trente ans après cet événement, le Andy Warhol’s Museum, situé à Pittsburgh, a eu la bonne idée de s’associer avec l’artiste Arcangel, l’Université Carnegie Mellon et le Carnegie Museum of Art. L’objectif ? Extraire des fichiers sauvegardés des disquettes Amiga conservées dans leur collection d’archives, sans vraiment savoir ce qu’il y aurait dessus. Résultat ? Près de quarante disquettes redécouvertes, sur lesquelles ont été enregistrées un bon nombre d’œuvres d’art numériques. 

Mais Warhol n’est pas le seul à être tombé fou d’Amiga. Le producteur et compositeur écossais Calvin Harris a lui aussi composé son premier album, Created Disco, sur un Amiga 1200 (qui lui a d’ailleurs valu un disque d’or au Royaume-Uni en 2008), tandis que le London Transport Museum y a développé son propre logiciel multimédia interactif, comprenant une visite guidée de diverses expositions et une visite virtuelle du musée. Aujourd’hui, sur des forums toujours très actifs ou même dans le monde physique, au sein d’associations, les passionnés d’Amiga continuent à faire vivre le PC en partageant leurs créations. L’Amiga n’est pas mort : vive l’Amiga ! 

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