Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive remonte le fil de l’histoire jusqu’à la source de l’art numérique contemporain : le computer art. Première étape : les années 1950, les bureaux d’IBM et la création d’une pin-up numérique.
Imaginez un peu : nous sommes à la fin des années 1950, et l’informatique est loin d’être aussi démocratisée qu’aujourd’hui. À une époque où il est nécessaire de s’appuyer sur un budget gouvernemental de défense pour faire tourner un ordinateur, difficile d’envisager qu’un jeune homme, employé anonyme d’IBM, ait pu se servir d’une de ces machines (au coût avoisinant les 240 millions de dollars…) à des fins artistiques – quoi que cela reste encore à déterminer. Nous sommes alors en 1956 et un nouveau mouvement s’apprête à voir le jour : le computer art.
Reposons le contexte. Alors en pleine guerre froide, les États-Unis investissent des milliards de dollars dans un système de défense aérienne informatisé. La technologie est inédite, elle est dite de pointe et est totalement mise au service d’un même projet : SAGE (pour Semi-Automatic Ground Environment), créé en collaboration avec le MIT et IBM en réponse à la menace d’une frappe nucléaire du côté soviétique. En créant une carte du ciel interactive s’appuyant sur les données radar des vols commerciaux, SAGE permettait d’alerter en cas de vol anormal et d’envoyer illico des avions à réaction pour intercepter l’objet inconnu. Ainsi, l’ordinateur dessinait une image linéaire du littoral sur chaque console SD, puis superposait les informations sur les vecteurs de vol et les signaux radar en direct, mettant une carte du ciel au service de l’US Army.
L’art de tromper l’ennui
Ce projet, on ne peut plus sérieux, un technicien s’est amusé à le détourner à des fins nettement plus légères. À l’aide d’une console et de l’un des deux ordinateurs SAGE, un programmeur d’IBM a en effet décidé de créer une interprétation graphique d’une pin-up représentée sous forme de segments de ligne sur l’écran de 19 pouces de la SD. Il s’agit là de la première image informatique figurative connue. Plus fort encore, il s’agit probablement de la première image d’un être humain sur un écran d’ordinateur. Alors si cette image est aujourd’hui considérée comme le premier exemple d’art informatique, nul ne sait si le but de son créateur anonyme était de créer à des fins artistiques ou divertissantes. Certains disent que la figure féminine avait un but diagnostique, d’autres affirment qu’il s’agissait simplement d’un moyen de tromper l’ennui.
Quoiqu’il en soit, l’image de cette pin-up numérique sert aujourd’hui encore de repère historique. Grâce à Lawrence A. Tipton, elle rentre même dans les annales, le pilote de 21 ans ayant capturé la console lors d’une visite à Fort Lee, en 1959, grâce à deux Polaroïds : l’un de la console, l’autre de Tipton lui-même assis devant cette même console. Il confiera des années plus tard : « Un jour, j’ai décidé de prendre des photos pour le bien de la postérité. Et ces deux Polaroïds sont les seuls à avoir réussi à sortir du bâtiment. » Et à marquer l’Histoire à tout jamais.