Un état d’extase. Voilà ce que promet Mark Leckey le temps de l’exposition As Above So Below, à Lafayette Anticipations. Se déployant sur les trois étages de la fondation, le parcours est conçu comme un parc d’attraction existentiel et sensationnel menant à l’œuvre iconique de l’artiste britannique, Fiorucci Made Me Hardcore (1999).
Un pont, la Lune, des yeux, un arrêt de bus, un parc d’attraction… l’exposition kaléidoscopique As Above So Below contient plusieurs pièces récurrentes et fascinantes d’un même puzzle : celui de la vie de Mark Leckey, notamment au passage de l’an 2000. À cette époque, le monde analogique tend à disparaître au profit du numérique, si bien que cette bascule technologique constitue aujourd’hui le fil conducteur de ce parcours dédié à la manière dont l’humanité appréhende différemment le monde réel depuis ce changement, qui se radicalise ! « Pour Mark Leckey, le digital est instable. Il nous propose ici de nous laisser porter par cette instabilité des images », précise Elsa Coustou, commissaire de l’exposition.
Le titre As Above So Below (Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas) est tiré de la Table d’émeraude, texte fondateur de l’art alchimique occidental, dont les premières traces remontent au VIIe siècle. « Cette expression suppose une relation permanente entre le cosmos et le monde terrestre, entre l’animé et l’inanimé, entre le visible et l’invisible », rappelle Elsa Coustou.
Travailler la forme vidéo
Dans cette exposition, qui n’est ni rétrospective, ni constituée d’œuvres inédites, Mark Leckey sublime le réel à travers l’image évidemment, mais aussi la danse et surtout le son. Chacune des vidéos présentées ici a été pensée comme un poème musical, une forme toujours plus présente au cœur de son travail depuis le confinement du printemps 2020. En atteste la première installation en forme d’Abribus et nommée To the Old World (Thank You for the Use of Your Body) (2021-2022), où une video remplace l’usuel panneau de verre, parfois publicitaire, ornant les arrêts de bus du monde entier. Inspirée d’une vidéo réelle et diffusée sur le compte Instagram @ukbants._, celle de Mark Leckey débute par un écran noir et le son d’un jeune homme se projetant sur la vitre, la brisant en mille morceaux. « Je voulais que ce petit acte minable devienne immense. Ainsi, pour moi, le jeune homme de la vidéo exulte à travers l’arrêt de bus », explique l’artiste britannique.
Pour créer son œuvre, ce dernier a sublimé cette scène avec un acteur qui se lance désormais vers un portail donnant accès à un prolongement extatique, fait d’images de synthèse. Cet acte malheureusement banal devient ainsi le symbole d’une collision entre le profane et le divin. L’extase, justement, Mark Leckey en fait le thème frontal et central de Carry Me into The Wilderness (2022), chargé de raconter ce qu’il a ressenti lorsqu’il a pu se balader dans un parc, suite à des mois d’enfermement dus à la pandémie de la Covid-19.
Les chemins de la mémoire
Dans la plupart de ses productions récentes et présentées ici, Mark Leckey, fasciné par le psychédélisme et la métaphysique médiévale, se dévoile en partie(s), à l’aide d’indices récurrents. Dans Dazzleddark (2023), tournée dans le parc d’attractions Dreamland à Margate, il restitue le souvenir d’enfance ambivalent de ses sorties à la fête foraine. Dans The Genius Loci (2024), il explore le motif du pont, censé renvoyer à d’autres souvenirs d’adolescence, notamment ces heures à végéter sous le passage d’une autoroute, en banlieue de Liverpool, où il aurait aperçu un pixie, une créature maléfique issue du folklore britannique.
Teintée de nostalgie, As Above So Below fait aussi merveilleusement le pont entre passé et présent, médiums d’antan et IA. Mark Leckey aborde le sujet dans Mercy I Cry City (2024), une vision futuriste d’une cité médiévale inspirée de la toile Una città sul mare de Sassetta (1392 – 1450). À l’époque du peintre italien, celle du Moyen Âge, les artistes aplatissaient les perspectives, comme le fait parfois l’IA. Sa cité numérique semble alors coincée entre deux époques, merveilleusement intemporelle.
Toutes ces vidéos mènent vers son chef-d’œuvre, Fiorucci Made Me Hardcore (1999), particulièrement bien mis en scène dans une ambiance 90’s. Ce qu’on y voit ? Une compilation des cassettes VHS de concerts, de soirées et d’archives dans lesquelles les corps des gens, issus des contre-cultures britanniques des années 1970 à 1990, se libèrent de manière contagieuse, en réponse au gouvernement ferme de Margaret Thatcher. Invité à les suivre et à danser devant le vidéo-projecteur, le visiteur dévoile ainsi, au gré de ses mouvements, de belles nuances d’ombres colorées. Une manière pour Mark Leckey d’envisager cet espace (l’ultime de l’exposition) comme une métaphore du 7e ciel, mais aussi de rendre hommage à la puissance de la musique et à son rôle dans la construction d’identités culturelles et collectives, dans des œuvres aussi intimes qu’universelles.
- As Above So Below, Mark Leckey, jusqu’au 20.07.2025, Lafayette Anticipations, Paris