Intelligence Artificielle, NFT, théâtre immersif, nouveaux musées… Quels sont les grands axes à même de régir la création numérique en 2025 ? Après l’heure des bilans, il est temps de se prêter au jeu des projections.
L’IA, nouvel objet de désir des musées
Difficile de passer à côté : en plus d’occuper une place toujours plus importante au sein du processus artistique, l’intelligence artificielle s’immisce également au cœur des programmations de diverses institutions. Alors qu’on a tendance à penser la créativité à l’ère de l’IA limitée aux images générées, les musées du monde entier s’emparent du sujet et permettent au public, averti ou non, de se faire sa propre idée sur ce qui est d’ores et déjà la révolution majeure de notre époque, à travers des expositions collectives, des monographies, voire même des événements didactiques plus accessibles.
Alexandra Dementieva, artiste et curatrice à l’origine de l’exposition SYMBIOSIS: Art in the Age of AI au CYLAND Media Art Lab de New York, résume d’ailleurs bien cette initiative commune, au nom de tous ses confrères : « Nous souhaitons développer une compréhension plus approfondie de la relation symbiotique entre les humains et les machines ,et démontrer le large éventail de possibilités d’utilisation de l’IA dans l’art ». La consécration ? L’ouverture, prévue pour cette année, de DATALAND, premier musée d’art IA piloté par l’incontournable Refik Anadol.
NFT, le grand retour des collections historiques
Il faut bien le dire : les pires rumeurs ont secoué le vaste domaine des NFTs ces dernières années. Ils ne vaudraient plus rien, ils ne serviraient que des escrocs, ils ne seraient qu’un phénomène de mode déjà obsolète… Pourtant, à bien observer les ventes de la fin d’année 2024, les NFTS se porteraient en réalité très bien.
Un constat qui concerne notamment les grandes collections PFP historiques, à en croire les experts en la matière, Rem & John, du podcast NFT Morning : « Nos bons vieux NFTs, moi, je pense que j’y crois à 2000%. Les grosses collections NFT, je les vois continuer. » En 2025, il faut donc croire que, des Cryptopunks au BAYC, les icônes de la première heure continueront de faire la pluie et le beau temps sur le Web3, malgré les difficultés de l’entreprise Yuga Labs, à laquelle ils sont presque tous liés.
L’avènement du théâtre immersif
Encore expérimental ces dernières années, le théâtre immersif prend du galon, jusqu’à s’imposer dans de nombreuses programmations en 2025, notamment celles du Théâtre Chaillot, du Festival d’Avignon ou de la Maison Saint-Gervais, à Genève : tous conscients du potentiel du spectacle vivant lorsque celui-ci fusionne avec les technologies XR, lorsque l’émergence d’un théâtre 2.0 permet de redéfinir les contours d’une pratique pourtant ancestrale.
Pour preuve, on tient les propos de Vincent Dupont, chorégraphe-auteur-danseur à l’origine du projet No Reality Now, L’Errance (The Roaming). « Aujourd’hui, le spectacle vivant actualise des techniques, ou des technologies, qui existaient déjà il y a très longtemps. C’est le cas des pepper ghost (technique d’illusion d’optique utilisée dans les représentations scéniques, ndlr), par exemple, dont on se servait déjà dans le spectacle, en magie au début du XIXe siècle, et qui revient en force actuellement dans les propositions contemporaines ». Ce qui, bien sûr, pose d’importantes questions. À commencer par celle-ci : à quel point les formes immersives transforment les processus d’écriture ? Affaire à suivre.
Le Moyen-Orient, nouveau fief de l’art numérique
De Diriyah Art Features, premier musée d’art numérique du Golfe ouvert en novembre dernier, à Sphere – Abu Dhabi, en passant par la DiGen Art Gallery du Liban ou l’installation d’une antenne Christie’s à Riyadh, la région MENA – soutenue par différentes politiques locales – s’empare des nouveaux outils technologiques pour se créer un patrimoine artistique. « Diriyah Art Futures révolutionne notre façon d’expérimenter et d’interagir avec l’art, amorcent les équipes de ce musée d’un nouveau genre à l’aube de son ouverture. Nous repoussons les limites de ce qui est possible grâce à l’intégration des moyens et des technologies numériques ».
Ailleurs, les artistes numériques du Moyen-Orient, du Maghreb, amazighs ou issus des différentes diasporas prennent également leur revanche auprès d’institutions les ayant longtemps boudés, pour présenter des oeuvres visant à décoloniser l’Histoire de l’Art et à remettre les pays de la région MENA sur le devant de la scène. À l’occasion de l’inauguration de l’exposition Arabofuturs à l’Institut du Monde Arabe de Paris, le président, Jack Lang, résumait cette nouvelle tendance : « C’est résolument vers le futur que les jeunesses arabes se tournent. Immense source de rêves, cette nouvelle génération d’artistes crée et transforme, portant par la force de leurs idées le monde de demain. »
Toujours plus de Digital Art Markets
Jusqu’alors uniquement consacrées aux NFTs, les espaces de vente d’art digitaux prolifèrent, associant vente d’art numérique et physique via des plateformes virtuelles. Dans la lignée du salon virtuel a ppr oc he augmented (lire notre newsletter éditoriale n°37) en fin d’année dernière, on observe ainsi la naissance d’un nouveau modèle commercial dans le domaine des galeries physiques : le commerce d’art « hybride » en « online-offline ». Pour simplifier, galeries d’art traditionnelles et marchands indépendants rejoignent des plateformes Web3 sur la toile afin de digitaliser leurs ventes.
Un choix qui s’explique notamment par les nombreuses transactions concernant l’art numérique, que le marché de l’art classique peine à suivre (en septembre 2024, la plateforme OpenSea a notamment traité un volume total de transactions NFT de 39,18 milliards de dollars). Accessibilité, facilité de paiement, atteinte d’un public plus large et international, certificats d’authenticité simplifiés… Les galeries d’art ont tout intérêt à suivre la mouvance, fantasmées depuis le boom des NFTs, mais possiblement sur le point de trouver un réel modèle pérenne.
Présenter autrement la VR dans les festivals de cinéma
Le festival de Cannes, la Mostra de Venise, le GIFF… Tous les plus grands festivals de cinéma du monde se dotent de leur section immersive, pour présenter des œuvres cinématographiques d’un nouveau genre, utilisant la réalité virtuelle pour transmettre les émotions que seul le 7ème art peut procurer.
Si les œuvres VR sont encore confinées dans des événements-dans-l’événement, tout semble converger vers une plus grande reconnaissance institutionnelle lors des prochaines éditions. Le Tribeca Film Festival, par exemple, a récemment repensé sa sélection immersive en l’étalant sur plusieurs semaines afin d’encourager un public toujours plus large à découvrir les films en compétition. Une reconnaissance sur laquelle comptent bien s’appuyer les producteurs et réalisateurs français, toujours en très bonne position lors de ces évènements. Pour Mélanie Courtninat, – dont le film All Unsaved Progress Will Be Lost était la sixième œuvre française la plus exploitée au monde en 2023 -, c’est même une certitude : « La création immersive française a un avenir prometteur à l’international, portée par une alliance entre créativité artistique et excellence technologique. »
Le développement des résidences internationales
Dans la lignée de ce que propose la Villa Albertine, aux États-Unis, ou la Villa Formose Immersive, en connexion avec Taïwan, on note la naissance d’initiatives toujours plus nombreuses dès lors qu’il s’agit de permettre aux artistes français de mettre un pied à l’étranger, de partager leur expérience ou de travailler de nouvelles productions dans un cadre différent.
Ces dernières années, on pense ainsi à Cybernate, résidence de recherche en art numérique menée entre Galway, Lyon, Marseille et Villeurbanne, au Vivier, un programme de résidences croisées entre Lyon et Taichung (Taïwan), ou encore à Quantum Studio, qui relie la France à Vancouver autour de projets artistiques liant le numérique et les sciences quantiques. En clair, les dispositifs sont là ! Ne reste plus qu’aux artistes de s’en emparer, et aux institutions de privilégier l’audace et la diversification aux projets qui fonctionnent.
L’obsession éditoriale pour l’art numérique
Avis aux accros à notre notre rubrique « Book club » : les prochains mois pourraient acter le grand boom éditorial de l’art numérique. Si l’année 2024 a été marquée par la sortie de l’ouvrage On NFTs de Robert Alice (aux Éditions Taschen), l’année 2025 semble suivre la mouvance avec l’émergence de nouveaux périodiques, à l’image du magazine semestriel de 176 pages The AI Art Magazine, publié par l’éditeur allemand polaroids.studio et qui entend se concentrer sur l’art généré par l’IA, ses limites et ses concepts. De son côté, Fisheye Immersive continuera de s’étendre en kiosque avec la sortie de sa deuxième revue annuelle.
Ce goût pour le numérique, perceptible dans les bureaux des maisons d’éditions traditionnelles, est tellement prononcé qu’il encourage aujourd’hui d’autres modèles à voir le jour. C’est notamment le cas de Nine Fungible Editions, qui exporte la littérature sur la blockchain. Avec pour ambition de casser les codes de l’édition afin d’en faire émerger de nouveaux, Nine Fungible Editions promet en effet de redéfinir la relation auteur/lecteur en s’appuyant sur un modèle communautaire et participatif.
La résistance politique de la crypto
Depuis l’investiture de Donald Trump sous les applaudissements des géants de la tech, on parle beaucoup de « technofascisme. » Dépassant pour la première fois la barre des 100 000 dollars (103 800 dollars pour être précis), le Bitcoin ne peut plus être déconsidéré par le grand public. Si Trump a récemment lancé son propre meme coin ($TRUMP, suivi de $MELANIA lancé par sa femme), embrassant le marché crypto dans la panique générale, cette crise a rapidement été canalisée par Claire Balva, vice-présidente de la néobanque Deblock et co-fondatrice de Blockchain Partner, cabinet de conseil sur la crypto. Dans un article de 20minutes, elle explique ainsi que les tentatives tapageuses de Trump et consorts « sont des monnaies parfois vues comme des caricatures et qui ternissent l’image des cryptos dans leur ensemble »
Du côté des artistes – nombreux à s’opposer à la politique conservatrice de Trump -, la résistance s’organise et ces derniers comptent bien s’appuyer sur cette revalorisation du marché numérique pour proposer des œuvres toujours plus politiques. Car oui, rappelons-le : le Web3 est avant tout un terrain artistique fertile, et pas simplement le caprice de certains hommes politiques mal intentionnés.