Jusqu’au 8 février, Fisheye Immersive profite de chaque samedi pour mettre en valeur le travail de trois artistes voués à marquer 2025 de leur empreinte. Pour ce deuxième épisode, focus sur Shonee, Georgia Canning et le studio Fromm.
Shonee (1992)
Si son travail a déjà séduit tout ce que Montréal compte d’institutions culturelles (MUTEK, la Nuit Blanche, SAT, etc.), ce dernier n’a pas encore rencontré l’écho qu’il mérite en Europe. Une injustice, tant l’approche de Bianca Shonee Arroyo-Kreimes (nom de scène : Shonee) est riche de mille sous-textes, parfaitement équilibrée entre ses origines costaricaines et son statut d’artiste canadienne, entre son rapport à la nature (elle a grandi à la lisière de la jungle) et sa vie de citadine à Montréal, entre son amour pour les formes de vie biologiques et son attrait pour les technologies.
Des mondes virtuels où tous les êtres vivants non-humains ont disparu (Field Of Reeds). Un futur où les animaux, grâce à de lourdes modifications génétiques et à l’élevage, ont évolué pour devenir des accessoires au service de l’humain (Last Species on Earth). À chacune de ses créations, en 3D ou en réalité augmentée, Shonee s’empare des technologies immersives pour documenter la relation toxique que nous menons avec la Terre Mère, pour acter la nécessité d’un changement de comportement, ou pour promouvoir un autre regard, plus sensible, plus respectueux, à l’égard de la vie des plantes et des animaux.
Extrêmement nuancé, l’univers de l’artiste canado-costaricaine déploie systématiquement des futurs alternatifs qui réussissent l’exploit d’être d’une grande précision sur le plan formel sans jamais délaisser le fond, ces valeurs et ces messages que l’on aurait vite fait de considérer comme écologiques s’ils n’étaient pas tout simplement humanistes. Avec, toujours, cette maîtrise technique vouée à impressionner les visiteurs de l’exposition Échos du passé, promesses du futur, au MacLYON, où son travail est exposée au printemps prochain. Le début d’une reconnaissance européenne ? On l’espère !
Fromm
Au moment de fonder en 2022 leur studio, Fromm, Vince Ibay et Jessica Miller sont animés par une double ambition : canaliser leur amour de la 3D dans une flopée de projets pluridisciplinaires, à la fois personnels et commerciaux, et étendre leur pratique du numérique au sein du monde physique. Le duo britannique y voit là une manière de conserver une trace de ses travaux, de protéger son humanité, de ne pas tout abandonner à la machine. Malin !
Parmi les derniers projets de Vince Ibay et Jessica Miller, il y a notamment Faerdom, présenté il y a quelques mois au Mother, à Londres. Soit une sélection d’images animées, créées grâce à la photogrammétrie et au motion tracking, se déroulant dans un royaume fictif, rendu toutefois extrêmement réel grâce à des impressions 3D et au travail opéré auprès d’une céramiste (Priscilla Pang), chargée de donner une forme physique à ces personnages et ces décors.
Au sein d’une époque attirée par les extrêmes, où tout est toujours tout blanc ou tout noir, le studio Fromm voit dans l’exploration des mondes folkloriques et la réinterprétation des contes de fée une manière de représenter une zone grise, un espace mal exploité, qui puise pourtant sa source dans l’imaginaire de l’enfance, les récits héroïques et les jeux de rôles en ligne, types RunEscape ou World Of Warcraft. Pour le duo, toutes ces références sont autant de béquilles fournies aux spectateurs dans l’idée de l’aider à « naviguer dans notre monde polarisé ». Bienvenue, donc, à Faerdorm, qui en plus d’être le début d’une série d’œuvres inspirées par les mythes et les espaces virtuels, se révèle être un royaume fantasque, créé à l’aide d’une simple baguette magique – le numérique.
Georgia Canning (1998)
Il faut voir la scénographie réalisée par Georgia Canning lors du défilé automne-hiver de Paolina Russo à Copenhague. Il faut observer en détail la manière dont ses environnements 3D se reflètent dans ce sol glacé et lumineux pour comprendre à quel point le travail de l’artiste londonienne, installé au Royaume-Uni depuis ses 17 ans après avoir fréquenté une « école religieuse stricte » à Brisbane, est profondément immersif, pensé pour faire écho aux éléments qui l’entoure – ici, des vêtements, des ballons, des installations artistiques ou divers décors.
On s’avoue ainsi fasciné par l’esthétique rétro-futuriste de Georgia Canning, tout autant attirée par le folklore médiéval que par les jeux vidéos ou ce qu’elle nomme les « trucs numériques ». Comprendre : l’IA, qu’elle utilise toujours plus, la 3D et même l’art numérique, qu’elle découvre vers 12-13 ans au moment de traîner dans des communautés en ligne (Tumblr, notamment) ou de découvrir Photoshop. « Cette attirance précoce pour les outils numériques est à l’origine de ce que je fais aujourd’hui », confie-t-elle au média It’s Nice That.
Difficile pour autant de la ranger dans une catégorie bien définie. Designeuse, créatrice, scénographie, artiste 3D : Georgia Canning, qui se définit comme « directrice artistique/conceptrice numérique », est tout cela à la fois, que ce soit pour des marques (Zalando, Collina Strada), des médias (NTS Radio, Dazed), des lieux (Grey Area Club) ou des artistes (Hannah Diamond). Le plus beau ? La Britannique a accompli tous ces exploits un an à peine après avoir obtenu son diplôme.