Pour la première fois, la Fondation Louis Roederer et Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains s’associent pour récompenser d’une carte blanche un étudiant mettant les sciences au cœur de sa pratique artistique. Et c’est Alexandre Cornet qui remporte le graal avec Saltation, une œuvre audiovisuelle évoquant la mémoire époque de sa famille, arrivée en France après l’indépendance de l’Algérie.
En 1962, l’Algérie acquiert son indépendance, poussant la famille d’Alexandre Cornet à quitter le pays pour la première fois depuis son installation, au début de la période coloniale. Un départ qui laisse des traces, certes, mais dont on ne parle que rarement chez les Cornet. Soixante ans plus tard, malgré plusieurs tentatives de dialogue, le jeune artiste parisien en fait l’amer constat : les non-dits, bien connus de l’occupation coloniale à l’échelle de l’État, se retrouvent également au sein de sa famille. « Plusieurs fois, ces dernières années, j’ai tenté de parler de cet héritage complexe à mon père, et plus généralement de la présence française en Algérie. Je me suis rendu compte que ses réponses étaient soit « euphémisantes », soit bifurquaient, soit m’invitaient à laisser au stade de la rumeur certains événements de notre famille » raconte l’artiste, né en 1992.
Le vent comme témoin
Pour traiter ce sujet, l’étudiant en 2ème année du Fresnoy s’est posé une question : « Comment évoquer cette mémoire, sans avoir directement un matériau depuis lequel en parler ? ». Passé par des études en physique et sciences politiques, avant de développer une pratique de la photographie documentaire, Alexandre Cornet décide alors de contourner la discussion et de tenter de répondre à cette interrogation en se basant sur le phénomène météorologique du Sirocco, un vent venu du désert qui déplace des poussières de sable du Sahara jusqu’en France et colorant le ciel d’une menaçante teinte orangée. « Mon envie était donc de croiser deux formes d’érosion : une érosion minérale du sable par le vent décrite par le phénomène scientifique qu’on appelle la saltation, et une érosion de cette mémoire familiale pied-noir qui ne se transmet pas. »
À partir d’éléments puisés directement dans l’imagerie scientifique, Alexandre Cornet tente de visualiser ces flux de sable balayés par le vent selon différentes échelles : météorologique, à partir de vues satellites captant ces déplacements de nuages de sable ; microscopique par la production d’images faites au microscope ; mais aussi macroscopique, à travers des vues en soufflerie presque fantomatiques évoquant la présence pesante des secrets de famille. En résulte, donc, Saltation, une œuvre audiovisuelle qui travaille de près l’érosion d’une mémoire, collective et individuelle, analyse ses fondements, et finit par emporter l’adhésion grâce à une approche poétique de son sujet.
- Saltation d’Alexandre Cornet, diffusée à l’occasion du Festival OVNi, jusqu’au 1er décembre 2024, à la Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence.