Bâtiments XXL, spectacles démesurés, expériences toujours plus tape-à-l’œil… À mesure que l’immersif se démocratise, il prend aussi beaucoup d’ampleur, brouillant la frontière entre art véritable et show m’as-tu-vu. Un goût pour l’excès encouragé par l’architecture, elle aussi, toujours plus excessive.
Culturespaces, cette entreprise privée assurant la création de centres d’art et l’organisation d’expositions numériques immersives, a récemment annoncé l’ouverture de sa 10ème succursale l’année prochaine à Hambourg. d’strict, le leader de l’immersif coréen inaugurera très le 29 novembre son huitième Arte Museum, à Las Vegas, au cœur d’une ville qui brille (littéralement) depuis septembre et l’ouverture de La Sphère, cette immense salle immersive équipée d’1,2 millions de LED et censée être mise à disposition d’artistes issus de différentes mouvances artistiques – U2 s’est notamment chargé de l’inauguration, le temps d’un concert qui a fait la joie des réseaux sociaux.
Si tous ces lieux d’expositions dédiés aux expériences immersives fleurissent depuis une dizaine d’années sur toute la surface du globe, ils soulèvent malgré tout une question : est-ce que l’immersif n’en fait pas un peu trop ?
La recherche du sensationnel
Toujours plus grandes, toujours plus connectées, toujours plus impressionnantes : les structures jouent un rôle essentiel dans cette quête de la démesure. Premier artiste invité à jouer avec la façade ronde de La Sphère, Refik Anadol convoque l’intelligence artificielle pour concevoir une œuvre utilisant des données et des algorithmes d’apprentissage automatique afin de créer des animations abstraites. « Nous sommes habitués à la toile, à la sculpture, à la peinture et à la vidéo, déclare l’artiste au New York Times. Cette fois, le bâtiment tout entier est une toile – et non une toile avec des coins. Cela remet en question nos perceptions. C’est une déclaration et une expérience vraiment puissantes qui réinterprètent les limites de notre compréhension de ce qu’est une toile. »
Aussi imposant soit-il, ce geste architectural fait sens avec la création artistique, offrant de nouvelles perspectives aux artistes. Même constat pour les « Sculptures of Dissipative Birds in the Wind » japonaises : cette œuvre monumentale, installée à l’occasion de l’exposition de teamLab à Osaka, qui reproduit en temps réel la dissipation continue d’énergie par le vol des oiseaux et le vent. Grâce à ses grands volumes, l’installation permet notamment d’immerger pleinement le spectateur dans la nuit, selon l’influence du vent, de la pluie, de la faune et même des visiteurs.
Art numérique ou grand spectacle ?
Si ces deux propositions artistiques justifient l’utilisation à grande échelle des technologies numériques, force est de constater qu’elles relèvent également plus du spectacle son et lumière que de l’œuvre d’art. Dès lors, quelle place est donnée à la curation ? Qu’en est-il de l’expérience muséale ? Jusqu’où ira cet attrait pour le grandiose (d’strict, par exemple, espère compter 20 salles immersives à travers le monde d’ici 2026) ? Est-ce vraiment rentable (depuis son ouverture, en septembre, La Sphère accuserait déjà une perte de 98,4 millions de dollars…)? Enfin, doit-on se contenter d’une expérience purement visuelle lorsqu’il s’agit d’art immersif ?
C’est notamment le point soulevé par Wourt Van Der Veen, conseiller scientifique de l’Institut Van Gogh, qui confiait récemment à BFMTV.com à l’occasion de Van Gogh à l’Atelier des Lumières, cette exposition événement et très instagrammable, notamment vue dans la série Emily in Paris, qui n’a pas convaincu le spécialiste du peintre hollandais. « Ce que j’en ai retenu pour l’instant, avec l’animation des tableaux, c’est une grande incompréhension. On pompe des images sur Wikipédia pour ensuite les projeter sans propos. (…) C’est un peu la Foire du trône. » Car, oui, à l’heure des salles toujours plus démesurées et des expositions grandiloquentes, il semble toujours plus difficile de trouver l’équilibre entre le goût du clinquant, l’accessibilité au grand public et la quête de qualité.