En marge de son installation vidéo aux Rencontres d’Arles, Liquid Love Is Full of Ghosts, Marilou Poncin poursuit dans son studio parisien l’exploration de mondes fantasmagoriques, à l’intersection exacte du physique et du virtuel. Rencontre sur place.
À peine a-t-on mis les pieds dans son atelier, situé au 2eme étage de la Tour Orion à Montreuil, que Marilou Poncin s’excuse du désordre. Cela fait quelques mois qu’elle partage ce studio avec une peintre australienne, elle ne dispose que de 15m2 et dit avoir manqué de temps pour ranger davantage. Il n’y a pas de mal : dans deux jours, Marilou Poncin est censée envoyer à Marseille différentes peintures et céramiques, à l’occasion d’un solo show à Art-o-rama et d’une présence au Salon international du dessin contemporain.
Une question, toutefois, occupe l’esprit : si l’on voit bien les pots de résine, les toiles et les pinceaux traîner un peu partout, les outils numériques de cette jeune trentenaire, originaire de l’Aveyron, passée par les Beaux-Arts de Lyon et débarquée à Paris dans l’idée d’étudier aux Arts Déco, se limiteraient-ils à cet unique MacBook posé sur le bureau ? À l’évidence, non : « C’est juste que cette partie de mon travail se fait chez moi, justifie-t-elle. Là-bas, j’ai une station pour gérer tout ce qui concerne le montage, les retouches et l’étalonnage. Ce studio me sert surtout pour le travail plastique et les recherches. »
Puzzle d’idées et de pensées
Pluridisciplinaire par essence, incapable de jurer fidélité à une seule technique, curieuse de tout, Marilou Poncin dit avoir besoin de répartir ses créations par « mini-départements » : ici, le pôle céramique et peinture ; chez elle, le pôle numérique. Ce qui ne l’empêche pas de créer des dialogues entre le virtuel et le tangible : « C’est quand même fou de continuer à opposer avec autant d’insistance le numérique et le palpable alors que ces deux modes d’expression se lient très bien entre eux. Selon moi, leur dialogue est même ce qui caractérise l’image contemporaine, philosophe-t-elle, la voix posée, avant de se montrer plus précise. Aux Rencontres Arles, par exemple, j’accompagne mon film d’une sculpture lumineuse en résine, qui n’est finalement rien d’autre qu’une extension de l’univers virtuel. C’est une sorte d’enseigne qui appuie l’idée, via ce pictogramme de cœur coulant, que l’on entre dans un autre espace-temps ».
On comprend alors que les œuvres de Marilou Poncin se découvrent comme on gratterait un palimpseste : un parchemin où les couches d’écritures ont été superposées les unes aux autres, de sorte que plusieurs interprétations sont désormais possibles. « Très souvent, mes projets naissent d’un mix entre la pop culture, à laquelle j’ai été biberonnée, et mes recherches en sciences sociales, notamment dans des domaines comme la psychologie ou la sociologie, explique-t-elle, le regard soudain plein d’entrain. Il y a donc l’envie de ne pas créer de hiérarchie dans mes inspirations, mais aussi la volonté de rester accessible. J’aime qu’il y ait de multiples portes d’entrée, plusieurs pistes de réflexions, et que le spectateur ne soit pas obligé d’avoir lu le livre qui m’a influencé pour pleinement comprendre mon propos. »
Désir machine
Pour quiconque a vu Liquid Love Is Full of Ghosts, présenté jusqu’au 29 septembre à Arles, impossible a priori de ne pas penser à Crash de David Cronenberg (1996). On retrouve le même fantasme pour des objets technologiques avec lesquels l’être humain pourrait nouer une relation affective et sensorielle (une berline high tech, une combinaison sensorielle ou un écran réellement tactile), de même qu’un goût prononcé pour faire naître le fantasque, l’irréel, dans des scènes a priori banales, presque quotidiennes.
On lui soumet la comparaison, elle sourit, puis répond : « Ce n’est pas la première fois que l’on me rapproche de Cronenberg. C’est évidemment une grande inspiration, mais étant donné que le film a presque 30 ans désormais, j’espère sincèrement avoir réussi à repenser ses idées de manière plus contemporaine ». Si l’on perçoit d’emblée la même volonté de questionner le désir envers des êtres robotiques, Marilou Poncin met le doigt sur une autre caractéristique du travail du réalisateur canadien : « Il y a chez lui cette idée de l’hybridité entre l’Homme et la machine qui est hyper intéressante. D’autant qu’elle est faite sans jugement aucun, ce qui est très rare lorsque l’on aborde des pratiques et des phénomènes sociaux tenus traditionnellement à la marge. »
Troubler le regard
Dans ses travaux, salués dès 2015 par le prix Inrocks Lab et fait de multiples médiums (la vidéo, la VR, la vidéo-projection, l’image en intelligence artificielle, la photographie, etc.), Marilou Poncin cherche elle aussi à alimenter le débat, à stimuler l’imaginaire, ainsi qu’à s’écarter de toute forme de « morale puritaine ». D’où ses thématiques, qui explorent le monde des cam-girls, des avatars, des love dolls. D’où cette façon de laisser l’erreur advenir, de jouer avec l’imprévu en entamant un va-et-vient avec des machines qui ne comprennent pas forcément notre sensibilité, « tout simplement parce qu’elles ont probablement la leur ». D’où, enfin, cette façon d’utiliser des codes auxquels il est facilement possible s’identifier (les teen movies, par exemple) pour mieux brouiller les pistes et questionner le regard sur ce qu’il est en train de voir.
Encore faut-il pouvoir en avoir les moyens. La création numérique a un coût. Elle prend aussi plus de temps et s’appuie sur un processus créatif nettement plus collaboratif. Ainsi, Marilou Poncin dit avoir mis près de quatre ans pour donner vie à Liquid Love Is Full of Ghosts. Il y a eu les premières phases d’écriture, la recherche de financement, le recrutement d’une quinzaine de personnes (acteurs, techniciens, etc.), l’injection de fonds personnels, et surtout un temps fou passé à tout organiser, « sans boîte de prod ».
Par conséquent, il y a aussi eu tous ces moments où il a fallu jongler entre son travail (vidéaste pour artistes et galeries), ses périodes de création au studio (au moins une fois par semaine) et toutes ces tâches de l’ombre, comme « faire à manger pour l’équipe, créer les décors, s’occuper du maquillage, gérer le planning, explique-t-elle, la voix lourde mais le regard fier. C’est de loin le projet le plus ambitieux de ma carrière ! ». Avec, encore et toujours, cette belle vision qui sous-tend son rapport au numérique : envisager l’écran comme un passage, un seuil, « une membrane qui séparerait deux mondes, une membrane poreuse comme peut l’être la peau, si bien que l’on ne sait plus ce qui est l’intérieur ou l’extérieur. »