2024 a été couronnée de succès pour les portes-étendards de la VR made in France, qui se sont illustrés dans de nombreux festivals internationaux. De quoi faire des Frenchies les nouveaux chouchous de la discipline outre-Atlantique ? On a mené l’enquête.
S’il est encore un peu tôt pour dresser le bilan de l’année 2024 fraîchement achevée, nul doute que celle-ci se situera dans le sillage de 2023. Dans son rapport annuel consacré à l’export des œuvres immersives à l’étranger, publié en septembre dernier, Unifrance avait annoncé la couleur : le cinéma en VR français séduit très largement en dehors de ses frontières. « Nous sommes réellement leaders car nous avons aussi cette chance d’être accompagnés dans notre écosystème en France, qui est bien plus important que dans beaucoup d’autres pays », confie François Vautier, réalisateur de Champ de bataille, présenté lors de nombreux évènements internationaux (Venice Immersive, GIFF Festival, etc.).
Convaincu de son propos, il poursuit : « Il suffit juste d’observer le dernier festival de Venise où Champ de bataille était présent : il y avait une pléthore de productions françaises ! Ce n’est pas difficile pour les Français de présenter leur travaux à l’international, au contraire : c’est plus facile ! Il y a vraiment une sorte de regard particulier sur ce qu’on peut considérer comme la « French touch ». La France est considérée comme un pays moteur dans ce nouvel art et cela nous aide beaucoup avec ce regard favorable envers nos œuvres. » Pour preuve, il est possible d’avancer ce chiffre : en 2023, 40 œuvres françaises ont circulé dans 36 festivals étrangers, générant 101 représentations et remportant au total pas moins de 22 prix.
L’excellence à la française
Parmi tous ces artistes plébiscités à l’étranger, il y a notamment Mélanie Courtinat et son film All Unsaved Progress Will Be Lost, sixième œuvre française la plus exploitée au monde en 2023. « Mes travaux fonctionnent le mieux en France, en Suisse et aux États-Unis, où ils résonnent avec une culture axée sur l’innovation et la VR. Grâce à des soutiens comme la Villa Albertine, la création immersive française continue de renforcer sa présence et son rayonnement à l’étranger », raconte la jeune cinéaste, parfaitement consciente de la nécessité de s’assuer une place outre-Atlantique. À toutes fins utiles, rappelons qu’en 2023, les trois premiers pays concentrant plus de 70% des recettes annuelles de l’exportation d’œuvres immersives françaises n’étaient autres que la Chine, Taïwan et les États-Unis.
« La France est considérée comme un pays moteur dans ce nouvel art et cela nous aide beaucoup avec ce regard favorable envers les œuvres françaises. »
Heureusement, comme le souligne Mélanie Courtinat, le pays de l’Oncle Sam ne lésine pas sur les initiatives pour permettre aux créateurs immersifs français de s’intégrer sur le sol américain. Lancé en 2018 à l’initiative de la Villa Albertine et de la Fondation Albertine, en partenariat avec UniFrance, l’Institut Français et le CNC, le programme « French Immersion » soutient les productions XR françaises émergentes et innovantes aux États-Unis grâce à un système de bourse. À l’occasion de la dernière Miami Art Week, la Villa Immersive a d’ailleurs proposé une soirée « French Immersion » au Bass Museum of Art au cours de laquelle performances (de Salomé Chatriot, notamment), projections et tables rondes ont permis aux Américains de partir à la rencontre de l’excellence à la française.
Une excellence en laquelle Mélanie Courtinat croit dur comme fer : « La création immersive française a un avenir prometteur à l’international, portée par une alliance entre créativité artistique et excellence technologique », rappelle-t-elle. D’autant que cette fameuse excellence est aujourd’hui encouragée par de nombreuses initiatives nationales soucieuses de soutenir le secteur. « En France, nous avons la chance d’avoir mis en place dès 2007 des mécanismes de financement comme celui du CNC qui soutient ces œuvres depuis leur écriture jusqu’à leur production », souligne Oriane Hurard, productrice chez Atlas V, l’un des leaders de la réalité virtuelle hexagonale, vite rejointe par le producteur Jérémy Sahel (DA Prod, Perpetual Soup) : « Je constate aussi que la France est un leader, car nous avons su, et notamment grâce au CNC, être des pionniers des nouvelles écritures. Il y a également des infrastructures qui commencent à se mettre en place, notamment avec le plan France 2030, et on en a vraiment besoin pour exposer des œuvres immersives ». De nouvelles écritures probablement dues au goût presque inné des Français pour l’expérimentation, comme l’Histoire de l’Art nous l’a appris au fil des siècles.
« En France, nous avons la chance d’avoir mis en place dès 2007 des mécanismes de financement comme celui du CNC qui soutient ces œuvres depuis leur écriture jusqu’à leur production. »
Interrogé par le CNC, le réalisateur, président de la commission du Dicréam au CNC, Michel Reilhac, résume : « La France fait partie du petit groupe de tête des pays dans lesquels la VR est en train de s’inventer. Il y a une créativité très grande avec peut-être une particularité en matière de narration de fiction. Dans le domaine de la fiction réactive, c’est-à-dire qui met le spectateur dans la peau d’un personnage, la France est pionnière. » Celui qui est également directeur de la programmation de Venice Immersive, la section de la Mostra de Venise, poursuit, « Je pense qu’il y a une curiosité naturelle en France, un goût pour l’expérimentation artistique, qui est valorisée. On voit ainsi dans notre pays beaucoup d’artistes plasticiens, de cinéastes indépendants qui s’y intéressent et expérimentent avec cette forme, peut-être plus que dans d’autres pays où les gens qui font de la VR viennent davantage de l’univers du jeu ou de celui de la technologie. En France, on a cette tradition qui fait que nombre des pionniers de la VR viennent de ces domaines plus classiques. »
Promouvoir la France à l’étranger
Cette tradition visant à transformer l’art en une véritable expérience se traduit ces dernières années par une grande diversité de formats et de sujets, mais aussi par une capacité à parler au plus grand nombre. « Quand je crée, je cherche à explorer des thématiques qui tendent vers l’universalité, comme dans All Unsaved Progress Will Be Lost, où j’aborde la notion de catastrophe, de “safe space”, ou la manière dont nous faisons face à l’indicible, détaille Mélanie Courtinat. Cela se manifeste notamment par des choix visuels et narratifs qui privilégient des symboles ou des métaphores accessibles à un large public qui visent à inviter chacun à projeter sa propre expérience dans l’œuvre. »
Ce discours, on le retrouve également chez François Vautier, qui a choisi d’exploiter le sujet de la Première Guerre mondiale dans son dernier film, Champ de Bataille : « J’ai pensé mon projet pour être international dès sa genèse, reconnaît-il volontiers. À partir du moment où l’on parle de la Première Guerre mondiale, il faut bien avoir un point de vue. Donc le plus simple pour moi, c’était le point de vue français, même si le film se termine sur un face-à-face entre deux jeunes garçons : un Français et un Allemand. Ça m’a permis d’ancrer le film dans quelque chose d’universel ; c’est une métaphore sur la guerre et le statut français importe peu pour moi. »
« Quand je crée, je cherche à explorer des thématiques qui tendent vers l’universalité. »
Si la qualité créative est indéniable, reste maintenant à convaincre le public étranger (et notamment américain). Un travail complexe dont se chargent les producteurs et distributeurs, à l’image d’Oriane Hurard : « On intervient très en amont de l’œuvre, et on est là jusqu’à la fin, jusqu’à sa diffusion et ses différentes diffusions. On accompagne l’auteur ou le créateur de A à Z sur toute cette phase, de l’idée à la sortie ». Consciente du flou qui peut planer autour de son rôle, la productrice d’Atlas V résume : « Dans ce processus, nous venons accompagner créativement les auteurs en leur trouvant les bons partenaires et équipes pour les épauler. Évidemment, une partie connue du public consiste également à aller chercher les financements et partenaires nécessaires à la production et ensuite à la diffusion de l’œuvre. Les enjeux avec l’étranger sont particulièrement pertinents dans notre industrie car le marché national est presque inexistant. En réalité virtuelle, le marché est dès le début international. »
Pionnier de l’informatique spatialisée, l’entreprise française Atlas V travaille depuis plus de six ans sur la création virtuelle. Une expertise que nous détaille Oriane Hurard : « Aujourd’hui encore très émergent avec des diffusions limitées, notre secteur se divise principalement en deux types d’exploitation : une exploitation en ligne via des stores VR comme Meta ou Steam VR permettant aux utilisateurs d’acheter directement des œuvres ; et une exploitation offline (NVE), qui se déroule dans des festivals ou musées où nous passons par des intermédiaires locaux essentiels pour notre secteur. »
Il était une fois, à Hollywood…
Des contacts aux États-Unis, Atlas V n’en manque pas ! « Atlas V a été fondé avec cette conviction que le marché américain serait indispensable tant pour toucher un public international qu’obtenir des financements adéquats pour nos projets ambitieux dès 2017. Nous avons donc cherché activement à collaborer avec des sociétés américaines tout autant qu’à financer nos œuvres via leurs acteurs clés. » Ainsi, Spheres de Darren Aronofsky, coproduit notamment avec sa société Protozoa Pictures, a été présenté à Sundance (avant de remporter le Prix du Meilleur Projet VR au Festival de Venise 2018), permettant « non seulement une reconnaissance mais aussi un fort engouement autour du projet grâce notamment aux voix américaines célèbres impliquées dans sa narration ». Jessica Chastain, Millie Bobby Brown, Patti Smith…
Le studio l’a bien compris : pour jouer selon les règles américaines, il faut miser sur Hollywood. « Nous continuons cette stratégie aujourd’hui encore : attirer des talents hollywoodiens reconnus afin, non seulement, d’attirer davantage le public américain, mais aussi de faciliter les sélections lors des festivals majeurs où nos productions s’illustrent régulièrement face à une concurrence mondiale intense. »
« Nous sommes dans une période compliquée pour les ventes online avec des acteurs comme Meta ou Pico qui ont énormément réduit leur volume d’acquisitions »
Si Champ de Bataille n’a pas de grandes stars à son casting, les codes hollywoodiens ne sont pourtant pas bien loin. À commencer par le budget. « En réalité virtuelle, tout est très lent, tout est très compliqué, extrêmement coûteux », admet François Vautier, rejoint par son producteur, Jérémy Sahel : « C’était aussi un pari fou et improbable, complètement à contre-courant de l’industrie immersive puisque la production en prise de vue réelle a quasiment disparu. C’est un film assez cher, mais chaque euro dépensé se voit à l’image et même au-delà. Nous n’avons fait aucun compromis en termes d’exigence artistique. »
Très vite, il a toutefois fallu le rentabiliser : « La distribution de Champ de bataille est assurée par Unframed Collection pour la version VR et Hubblo pour la future version dôme. (…) On a d’abord diffusé le film à la Mostra de Venise et d’autres festivals ayant un historique VR, mais nous sommes ravis de présenter le film également en France, au Fipadoc (Festival international de programmes audiovisuels documentaires de Biarritz), à Clermont-Ferrand ou encore à War on Screen qui a dû mettre en place un pavillon VR juste pour nous », explique Jérémy Sahel, pour qui l’international n’est pas une fin en soi. S’il reconnaît évoluer au sein d’un secteur subissant actuellement « une période compliquée », notamment « pour les ventes online avec des acteurs comme Meta ou Pico qui ont énormément réduit leur volume d’acquisitions », il admet aussi avoir été « un peu déçu de l’accueil mitigé des professionnels de la VR », mais se félicite in fine de l’accueil critique et populaire : « Le grand public adhère complètement, et ce de 7 à 77 ans ! La guerre de 1914-1918 est le fondement de la construction européenne. Je suis sûr que beaucoup de gens s’y retrouvent. »
Quid des œuvres DIY ?
Heureusement pour les œuvres à plus petit budget, un succès aussi bien national qu’outre-Atlantique reste possible ! « All Unsaved Progress Will Be Lost est un “solo project”, une œuvre que j’ai créé et réalisé seule, en autofinancement, sans équipe, à l’exception de la collaboration avec un musicien, rappelle Mélanie Courtinat. Le succès international d’un tel projet est en grande partie dû au travail remarquable de l’équipe de Diversion cinéma, avec laquelle j’ai eu le privilège de collaborer pour la distribution. Leur expertise a joué un rôle clé dans la résonance qu’a pu avoir l’œuvre à l’étranger. Je pense aussi de façon très pragmatique que mon choix d’aborder le sujet de manière minimaliste, avec un dispositif relativement simple et accessible pour la médiation, a contribué à rendre l’œuvre plus facilement exportable qu’une autre nécessitant une infrastructure technique importante et coûteuse, par exemple. » Tant mieux : car, si les œuvres blockbusters permettent aux productions françaises d’être mises en lumière à travers le monde, c’est bien cette diversité de propositions qui fait, et continuera de faire, de la France un acteur essentiel du développement du cinéma immersif à l’international !