Et si la forme la plus pure du cinéma était la lumière ? Un simple faisceau qui, une fois étiré, semble capable de dire tant de choses ? C’est ce que vise à formuler Guillaume Marmin, plasticien nantais, dont les œuvres numériques, à la fois cartésiennes et ésotériques, doivent beaucoup aux outils du 7ème art. Rencontre.
La légende prétend qu’il n’y a pas de chemin tout tracé. Vrai ! Après des études dans le domaine de l’audiovisuel, Guillaume Marmin sent poindre d’autres envies et se tourne rapidement vers l’expérimentation. Le cinéma classique ? Très peu pour lui. « Devenir plasticien n’était pas une vocation, une évidence apparue assez tôt, mais plutôt une trajectoire en biais, relate-t-il. À l’origine, je me destinais à la réalisation de documentaires, mais j’ai toujours expérimenté en parallèle, notamment à travers la musique et l’accompagnement de groupes via des créations vidéos Super 8. Pendant mes études, j’ai aussi commencé à travailler dans le spectacle vivant, où je faisais des contenus vidéos. Toutes ces expériences m’ont permis d’expérimenter plein de choses et d’utiliser l’image, non pas comme on le fait habituellement dans un rapport narratif, mais selon une approche plus libre, plus plastique. » Sans trop s’en rendre compte, Guillaume Marmin devient artiste. Timidement, mais sûrement, la création plastique prend le pas sur le documentaire. « Depuis une douzaine d’années maintenant, la création artistique est devenue mon activité principale », s’étonne-t-il encore.
Artiste numérique à contre-courant
Malgré tout, le monde du cinéma ne le quitte pas. Tout comme la figuration n’a jamais quitté Kandinsky, qui tente simplement d’épurer les sensations les plus complexes, de les représenter sous leur forme la plus simple. « En travaillant dans la vidéo, je suis allé vers des choses plus minimales, qui tiennent bien souvent davantage de la lumière que des vidéos », confesse-t-il. Enfant des années 1980, Guillaume Marmin a presque logiquement développé son obsession pour la lumière via le petit écran, face à Jayce et les Conquérants de la lumière ou Les mystérieuses cités d’or. L’artiste n’est alors qu’un gamin, et pourtant, déjà, ces faisceaux l’impressionnent : « C’était un peu mystique et ça me fascinait déjà à l’époque ! ». Si bien que les héros japonais continuent d’envahir son imaginaire, jusqu’au jour où, adolescent, Guillaume Marmin se frotte à Internet et voit s’ouvrir tout un monde de possibilité : « Il existe aujourd’hui des outils qui permettent de contrôler tous types d’environnements lumineux grâce à du contenu vidéo. Moi qui venait de là, ça m’a permis d’avoir accès à un large éventail de matériaux. Grâce à Internet, on peut aussi très vite se fabriquer ses propres outils, ses propres sources lumineuses. »
« Grâce à Internet, on peut très vite se fabriquer ses propres outils, ses propres sources lumineuses. »
Assez logiquement, Guillaume Marmin rejoint donc, sans crier gare, le clan fermé des « artistes numériques », sans jamais mettre de côté son âme d’enfant, son goût pour le mystère, toujours prégnant, y compris lorsqu’il explore les pans les plus techniques de son travail. « Dans le grand spectre des arts numériques, on a tendance à retrouver des sujets très cartésiens, très froids, et ça me plait de convoquer d’autres références en plus de la science », admet-il. Ainsi émerge une question : quelle source de lumière permet autant de réflexions scientifiques que de magie ? Réponse : le soleil, pardi ! Cet astre, Guillaume Marmin en fait d’ailleurs sa source personnelle de création, dans Oh Lord !, actuellement présentée au sein de l’Église des Trinitaires de Metz, dans le cadre du festival Constellations.
Née de la rencontre de Guillaume Marmin avec l’astronome Lucie Leboulleux, cette installation s’appuie aussi bien sur des recherches scientifiques effectuées au sein de l’Observatoire de Paris-Meudon et l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble que sur des réflexions plus spirituelles, tirées de l’ouvrage Soleil d’Emma Carenini : « Je ne pouvais pas occulter la dimension mystique du soleil, qui est quand même énorme… Pour ça, j’ai lu le livre d’Emma Carenini, dans lequel elle explique que toutes les sociétés, toutes les religions, sont construites autour du soleil. Là où la science et la spiritualité se rejoignent, c’est autour du mystère de notre existence, le fait que l’on soit sur Terre aujourd’hui. Tout cela vient du soleil. »
Un porteur de flambeau
Cette approche presque naïve du soleil, Guillaume Marmin la tient probablement de sa jeunesse. Après les petits-déjeuners devant les dessins animés, vient en effet l’envie de filmer, de se familiariser avec cette caméra Super8 dont il ne se sépare jamais. « J’ai toujours été fasciné par la Super8, les projecteurs à l’ancienne de cinéma où il y a la lampe, la lentille, le film et qui, contrairement aux vidéoprojecteurs actuels, se démontent et s’ouvrent. » Une structure intelligible qu’il met en scène à grande échelle dans Oh Lord !, « Ce qui m’intéresse dans mes installations, c’est de détourner ces dispositifs, ce qui est le cas avec Oh Lord !. On est face à un écran, derrière lequel il y a la lentille d’un vidéo projecteur, et j’essaie de placer le spectateur dans le projecteur, dans un espèce d’événement plus immersif, en le confrontant vraiment à la lumière. »
« Là où la science et la spiritualité se rejoignent, c’est autour du mystère de notre existence, le fait que l’on soit sur Terre aujourd’hui. Tout cela vient du soleil. »
Ce goût pour l’immersif, Guillaume Marmin le puise dans l’histoire de l’art, et notamment au sein du GRAV, un mouvement contre-culturel français des années 1960, comptant dans ses rangs une certaine Vera Molnár. « À l’époque, l’un des fondateurs, François Morellet présentait le fait de sortir les œuvres des galeries comme un manifeste, il souhaitait aller chercher une interaction avec le public. » S’il lui arrive aujourd’hui de présenter ses travaux dans les institutions, Guillaume Marmin n’a jamais oublié ses débuts expérimentaux, profitant de chacune de ses performances pour projeter ses vidéos sur des matériaux inattendus. « Je trouve ça hyper intéressant d’aller à la rencontre des gens, de mettre de l’art dans leur parcours quotidien, d’entendre des réactions de tout public, de tout âge », raconte-t-il.
Le 7ème art en étendard
Ce désir de plonger le spectateur dans son œuvre, Guillaume Marmin le manifeste par la création d’un art total, où le son joue à l’évidence un rôle essentiel. Là encore, l’intéressé dit puiser son rapport à la musique au sein de l’histoire de l’art : « Le son, chez moi, est vraiment hyper important et est essentiel à la dynamique de mes installations. Je m’intéresse beaucoup aux questions de synesthésie. Kandinsky, quand il peignait ses tableaux, partait d’ailleurs du principe que telle mélodie lui évoquait telle forme. » C’est ainsi que Guillaume Marmin s’entoure de musiciens, non pas chargés de plaquer une bande-son sur un travail abouti, mais bien de réfléchir ensemble, dans une démarche collaborative, à la création d’une œuvre unique. « Le son ne doit pas forcément correspondre à l’image, mais plutôt évoquer étroitement un type d’image ou de lumière. C’est une manière de se créer un vocabulaire commun avec les musiciens pour créer un cheminement abstrait. (…) On construit vraiment en ping-pong ensemble, par couche, par aller-retour, et on construit les deux (le son et l’image, ndlr) en parallèle. »
« Je m’intéresse beaucoup aux questions de synesthésie. Kandinsky, quand il peignait ses tableaux, et il partait du principe que telle mélodie lui évoquait telle forme. »
Ultra-référencée, l’œuvre de Guillaume Marmin est à la fois plastique, conceptuelle, musicale et cinématographique. C’est que cet cet amoureux du 7ème art n’a jamais oublié ses racines, et construit aujourd’hui encore ses projets comme on élabore un film. « C’est l’héritage de mon parcours académique : j’ai besoin de tisser un scénario pour avancer, confie-t-il, Toutes mes références me servent à écrire un scénario. En questionnant les scientifiques, je crée une sorte de petite trame qui me permet de travailler ensuite avec les musiciens sur la composition sonore de l’œuvre. Laquelle servira ensuite à raconter une histoire. » Une histoire qui continue de s’écrire, à Metz et ailleurs. « Oh Lord ! continue de tourner pas mal, il y a plusieurs expositions qui l’ont programmé. C’était un pari et on ne savait pas si ça allait plaire, voire même si ça allait être diffusé », reconnaît-il, l’air timide. Avant d’annoncer la suite : « Là, je débute un nouveau projet autour des visions hypnagogique avec des lampes qui provoquent des hallucinations… » Il ne nous reste donc plus qu’à suivre l’avancée de cette comète de l’art.