Le Cube Garges, lieu d’arts hybrides et de pratiques artistiques, consacre sa nouvelle saison au thème du cosmos. Un programme inauguré par l’exposition gratuite Derrière les étoiles, qui revient jusqu’au 24 janvier sur les récits et les images nourrissant notre obsession de l’espace. En bien comme en mal.
Qui ne s’est jamais allongé dans l’herbe pour se laisser aller à la contemplation des étoiles ? Objet éternel de fascination pour les êtres humains, le cosmos obsède depuis toujours. Les yeux rivés vers le ciel, les plus grands esprits de l’Antiquité s’attèlent ainsi à le déchiffrer à grands coups de formules mathématiques quand, aujourd’hui plus que jamais les principales fortunes du monde n’ont qu’une envie : conquérir l’espace à leur tour. De Galilée à Elon Musk, une même attirance inexplicable se développe dès le plus jeune âge, entre histoires magiques qui se dérouleraient dans la galaxie, voeux ludiques effectués devant une étoile filante ou désir presque universel de devenir astronaute.
Cette genèse, quelque peu naïve, constitue probablement le point de départ d’une exposition comme Derrière les étoiles, qui tient à démystifier la relation complexe et souvent ambiguë que nous entretenons avec notre environnement spatial. Empreint de clichés, l’espace n’est pas uniquement physique, mais bien conceptuel et trouve sa place au cœur de préoccupations, elles, bien terrestres. Enjeux diplomatiques, militaires, commerciaux n’échappent pas aux frontières de notre planète et s’étendent bien plus loin dans la galaxie pour toucher notre quotidien, sans même que l’on s’en aperçoive – un quotidien fait d’images impactantes qu’il convient de questionner. Dès lors, quoi de mieux que de confier cette tâche aux artistes ?
Ce que le ciel dit de nous
Loin de la science-fiction classique, le Cube Garges propose ici une expérience complète, immersive, qui se distingue par une approche artistique aussi pointue qu’accessible traitant des représentations fantasmées qui, à bien y réfléchir, disent plus de nous que du cosmos. C’est finalement notre rapport à l’espace qui est exploré ici grâce à l’intervention de dix-sept artistes ou collectifs, et non l’univers à proprement parler. Quand les êtres humains pensent les étoiles, qu’est-ce que ça donne ? Au cœur de plusieurs millénaires de civilisation, la question de l’espace est à l’origine des mythes fondateurs, de certaines de nos craintes les plus répandues, d’un désir de conquête devenu typiquement humain. À l’origine de tout ce qui fait ce que nous sommes.
Répartie en trois chapitres, l’exposition s’ouvre sur L’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg qui fait office de porte d’entrée. Constellations du zodiaque et autres cartes du ciel invitent alors le spectateur à réfléchir sur les croyances et les représentations mythiques. Quelques pas plus loin, de fausses peintures médiévales de Laurent Grasso et une représentation idéalisée de la Lune de Nicolai Howalt mettent en lumière le manque de réalisme de nos représentations de l’espace. Et pour cause : comment représenter un espace qui ne se termine jamais, qui n’évolue pas selon notre temporalité, qui n’est pas soumis aux mêmes lois physiques ?
La Guerre des étoiles
Intitulé « Poussières d’étoiles et débris cosmiques », le deuxième volet de l’exposition répond en partie à cette question : il est presque impossible de penser l’espace en dehors de notre culture et de notre idéologie. C’est d’ailleurs une photographie extraite du reportage Satellites: Photographs from the Fringes of the Former Soviet Union réalisé par le photographe Jonas Bendiksen dans les anciens États satellites de l’ex-URSS qui inaugure ce chapitre, instaurant une conversation autour des biais historiques de la perception de l’espace. Autour, une installation de Stefan Eichhorn faite de costumes d’astronautes désuets interroge : que se serait-il passé si la conquête spatiale n’avait jamais eu lieu ? Celle-ci, malgré un récit officiel séduisant, s’avère en réalité être un mythe que l’on manipule à notre aise uniquement pour servir les intérêts politiques et diplomatiques d’un pays.
Présentée sous la forme d’une watching party des années 1970, l’installation vidéo In Event of Moon Disaster des artistes Halsey Burgund et Francesca Panetta documentent une histoire dans laquelle la Mission Apollo 11 aurait échoué, et insistent au passage sur l’importance des discours et des mots dans la construction des récits collectifs. Un peu plus loin, la cabine de prédiction astrologique SCOPE de Quadrature (exposée également au Pavillon de Namur, dans le cadre de l’exposition Stellar Scape) illustre à son tour ce phénomène, et permet aux visiteurs d’obtenir un horoscope personnalisé basé sur la position des satellites militaires et commerciaux orbitant autour de la Terre le jour de leur naissance. Car, oui, on fait bien dire ce que l’on veut aux étoiles.
Un peu de magie cosmique
Sujet à tant de jeux de pouvoirs, l’espace enchante-t-il toujours de la même façon ? Soucieux de maintenir l’émerveillement, la dernière partie de l’exposition invite à penser le cosmos différemment, à mille lieux de notre quotidien terrestre. « Si l’espace fait moins rêver qu’autrefois, c’est parce que le récit qui le sous-tend ressemble de plus en plus à celui de la Terre. » peut-on lire sur les murs du Cube Garges. Afin de renouer avec la magie et se détacher complètement des dynamiques capitalistes de la conquête spatiale, les artistes envisagent ainsi de nouveaux récits, plus poétiques, plus sensibles.
On s’émeut, par exemple, devant un coucher de soleil vu depuis les dunes martiennes dans une oeuvre signée Félicie d’Estienne d‘Orves, on se délecte de la mélodie des météorites de Claire Williams ou des carillons électromagnétiques de Richard Vijgen. Plus loin, on sent même « l’Eau de space » de la NASA, une fragrance reproduisant l’odeur de l’espace. À chaque fois, on réactive donc nos sens et on rêve enfin un peu. La conclusion idéale à ce voyage cosmique complexe.