Les NFT ont bouleversé les codes traditionnels du collectionnisme, notamment d’œuvres numériques, attirant des profils variés, allant des investisseurs technophiles aux artistes eux-mêmes. Tout naturellement, les amateurs d’œuvres IA se tournent vers ces marketplaces et/ou vers des plateformes très curatées telles que Verse afin d’agrandir leurs collections. Deux collectionneurs aux parcours différents partagent ici leurs expériences et réflexions sur ce nouvel écosystème.
Edouard est avant tout artiste, historien de l’art, curateur et directeur d’un comité d’artistes modernes. Déjà propriétaire d’une collection physique préexistante, son intérêt pour le collectionnisme digital s’est développé « tardivement », en 2022, motivé par des questions pratiques : difficultés liées à l’assurance, au stockage et à la gestion des œuvres physiques. En effet, même s’il lui arrive d’acheter des œuvres qui se présentent sous un duo NFT/reproduction physique, il juge la logistique de ces dernières trop contraignante : « J’ai autre chose à faire dans ma vie que de gérer la livraison et l’encadrement. Sans parler du transport et de l’assurance… ». D’autant plus qu’il est préférable de privilégier le déploiement d’une œuvre numérique sur des écrans plutôt que d’en faire une impression papier, ces derniers permettant de restituer un spectre de couleurs plus large. Edouard considère ainsi qu’il vaut mieux choisir le médium naturel de l’œuvre pour en profiter pleinement, et expose de fait ses œuvres sur des écrans de son appartement.
Un marché à appréhender
Introduit aux œuvres d’art numériques par la NFT Factory, fondée en 2022, Edouard y achète sa première œuvre d’art digital proprement dite (il était déjà en possession de 2 PFP) : Thésée & Calypso de Louis-Paul Caron, réalisée en 3D. Depuis, il continue d’enrichir sa collection d’œuvres digitales aux techniques variées au fil de ses coups de cœur. Edouard était initialement réticent à l’art IA pour des raisons légales et éthiques : « On vole un peu de tout le monde », dit-il. Et d’ajouter : « À part quelques exceptions (…), la grande majorité des IA grand public sont entraînées sur les images du net, donc sans donner d’argent aux artistes ». Pour autant, il est important de rappeler que cette recherche, appelée fouille de texte et de donnée, est autorisée par le droit européen, et ne représente donc pas un acte de vol d’un point de vue juridique.
De prime abord, Edouard a aussi été rebuté par l’inondation de « prompt-artistes » sur Foundation, produisant des images uniformes et de qualité moyenne. Il déplore que ces dernières aient rapidement acquis une grande visibilité, éclipsant des artistes qui développent leurs techniques en intelligence artificielle depuis plusieurs années. Cependant, il n’en pense pas moins que l’IA est un progrès technologique immense dont les artistes doivent s’emparer, et reconnaît la valeur conceptuelle de certaines œuvres IA. C’est le cas d’une de ses dernières acquisitions : All Watched Over by Machines of Loving Grace #5 de Alkan Avcıoğlu. L’utilisation de l’IA dans le processus de création soutient ici le propos de l’œuvre qui s’inscrit dans une série s’inspirant de l’esthétique de la photographie industrielle, rappelant les travaux d’Edward Burtynsky et d’Andreas Gursky, pour créer des compositions qui évoquent la production de masse et l’omniprésence des écrans.
L’art IA en pleine expansion
Jediwolf, collectionneur issu du Web3, a une approche quelque peu différente de celle d’Edouard. Plongé depuis des années dans l’univers de la blockchain, ce dernier considère que l’art IA représente une révolution majeure dans le monde de la création numérique. Son intérêt pour les œuvres générées par IA est né de sa fascination pour les algorithmes et les possibilités offertes par les réseaux neuronaux comme GAN et Deepdream. Pour lui, les premières œuvres IA, bien que techniquement imparfaites, possèdent une valeur historique et conceptuelle unique. Il collectionne notamment des créations de pionniers tels que Mario Klingemann et Robbie Barrat, estimant que ces artistes ont ouvert la voie bien avant que les outils IA ne deviennent accessibles au grand public. « Ce qui est réalisable aujourd’hui en quelques secondes leur a demandé des mois de travail et de solides compétences techniques », souligne-t-il.
Jediwolf privilégie l’acquisition d’œuvres purement numériques et les expose dans des galeries virtuelles interactives. Il s’investit également dans le développement de métavers où il peut présenter ses collections sous différents angles. Pour lui, c’est certain, l’IA est une opportunité sans précédent de repousser les limites de la création artistique. Voilà ce qui explique pourquoi il se montre aussi confiant au sujet du regard porté actuellement sur l’art IA : celui-ci, à l’entendre, évoluera à mesure que les technologies s’affineront. « À notre ère numérique, il est difficile d’imaginer que l’art IA devienne obsolète. Il ne fera que croître avec le temps ». Contrairement à Edouard, qui cherche avant tout une démarche conceptuelle et esthétique forte, Jediwolf s’intéresse également à la dimension communautaire et spéculative du marché (où une vente peut autant se solder à 4 000€ qu’à 400 000€), et suit donc de près les tendances sur Twitter et Discord, où les collectionneurs influents jouent un rôle clé dans la valorisation des artistes émergents.
En quête de reconnaissance
Ainsi, si le succès fulgurant des NFTs a contribué à la révélation et à la diffusion de l’art IA, il ne saurait résumer à lui seul l’essor de cette nouvelle forme d’expression. Comme le souligne la galeriste Magda Danysz sur France Culture, « l’art numérique, ce n’est pas les NFTs ». Cela se manifeste à travers des ventes souvent très médiatisées comme celle du Portrait d’Edmond de Bellamy d’Obvious, vendu en 2018 chez Christie’s pour 432 500 dollars, ou encore à la vente Augmented intelligence, organisée tout récemment en ligne par Christie’s.
Pourtant, même si les maisons de ventes aux enchères se sont rapidement saisies du phénomène, la reconnaissance du marché des œuvres IA s’est principalement construite à travers les nouveaux canaux. Et aujourd’hui, bien que l’art IA puisse exister en dehors de la blockchain, c’est principalement sur les marketplaces NFT que se retrouvent ses collectionneurs les plus fervents, illustrant ainsi le rôle central de ces plateformes dans l’économie de l’art numérique.