Durant l’été, de mi-juillet à fin septembre, Fisheye Immersive part à la rencontre de huit artistes numériques venus du monde entier, profondément créatifs et déterminés à expliquer leur travail, démocratiser leur approche créative. Sixième invitée : Louis-Paul Caron ce cinéaste proche de la Galerie Charlot, épris des outils numériques et déterminé à documenter l’avenir de nos mondes virtuels face aux changements climatiques
« J’aimerais pouvoir faire du sur-mesure aussi facilement qu’un peintre pourrait découper un morceau de toile sur son prochain tableau. »
« Il n’en tient qu’aux artistes de proposer une pratique pertinente et cohérente avec l’usage de ces nouveaux outils. »
D’après toi, à quel point la VR ou les technologies immersives vont-elles impacter les propositions artistiques, les musées ou les galeries ces prochaines années ?
Louis-Paul Caron : Les outils numériques apportent depuis plusieurs années un renouveau du paysage artistique dans le format et le support des œuvres. La scénographie des expositions évolue en conséquence, et il y a de plus en plus de lieux où des écrans, des casques VR et des vidéoprojecteurs sont à disposition des artistes, comme à la NFT Factory ou à la galerie Charlot, à Paris. De plus, des lieux spécialisés dans l’art numérique, comme la Gaîté Lyrique, permettent déjà aux artistes d’avoir une scénographie sur-mesure, avec des vidéo projections, des pièces immersives ou des écrans géants.
Il me paraît toutefois important de préciser que ces dispositifs d’exposition sont encore en cours d’évolution, et que j’aimerais qu’ils soient également accessibles à de plus petites échelles, comme l’atelier d’artiste, afin de pouvoir faire du sur-mesure aussi facilement qu’un peintre pourrait découper un morceau de toile sur son prochain tableau. Par exemple, lorsque je travaille pour une exposition, je dois souvent penser mon œuvre avec la contrainte du format 16:9 d’un écran standard de télévision…. C’est pourquoi je rêve au fond de moi d’un écran sur mesure neutre en carbone, même si j’ai bien conscience de l’impact écologique de ces installations et de la nécessité de créer avec une conscience environnementale,
Au-delà de ces préoccupations écologiques, hyper importantes, as-tu l’impression que les arts numériques/immersifs te permettent de délivrer plus concrètement un message impossible à défendre sous une autre forme ?
Louis-Paul Caron : Je ne dirais pas impossible à défendre, mais l’art numérique me permet assurément de délivrer des messages à très grande échelle à travers le monde. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur des écrans géants en extérieur, je pense que mes œuvres numériques ont beaucoup plus de visibilité et d’impacts que des œuvres traditionnelles exposées seulement en galeries ou dans des musées.
Et puis, je dois l’avouer, l’art numérique a beau être arrivé en tant que tel dans ma vie depuis seulement quelques années, j’ai grandi dans un environnement où le numérique prenait une grande place, via les jeux et les films d’animation, qui ont éveillé ma sensibilité à cette esthétique digitale. J’ai passé de nombreuses heures à explorer des univers numériques (GTA, Zelda, Pixar…) qui m’ont beaucoup inspiré. À chaque fois, je cherchais à comprendre comment ces mondes étaient inventés et fabriqués.
À présent, comment utilises-tu les outils numériques au sein de ton processus de création ?
Louis-Paul Caron : Les outils numériques, notamment de modélisation 3D et de montage vidéo, sont présents à 100% dans mon processus de création. Ils me permettent de créer des mises en scène complexes, avec de nombreux personnages et des architectures sur-mesure, comme pourrait le faire un photographe ou un réalisateur dans un studio de cinéma. La différence, c’est que je me libère entièrement des contraintes physiques. Ces outils sont au cœur de ma pratique, ils influent sur l’esthétique de mon travail, mais aussi sur le sujet de mes œuvres, ils entrent en jeu dans mes réflexions sur l’écologie, le futur et les mondes virtuels.
À l’heure du numérique, on dit que n’importe qui peut se revendiquer artiste, que « pousser quelques boutons » (pour reprendre une phrase lue dans certaines interviews) ne constitue pas un geste artistique. Quel est ton point de vue là-dessus ?
Louis-Paul Caron : Déjà, la légitimité de l’art numérique dans l’histoire de l’art me semble aujourd’hui d’une telle évidence que je ne comprends pas pourquoi ces critiques existent encore. Ensuite, je pense que toute personne qui souhaite travailler sérieusement à un projet artistique peut se revendiquer artiste. Depuis plus d’un siècle maintenant, ce n’est plus la technique qui fait l’artiste mais bien sa démarche, et si certains outils numériques simples d’utilisation comme l’IA permettent une plus grande diversité artistique, alors je trouve cela très positif ! Il n’en tient qu’aux artistes de proposer une pratique pertinente et cohérente avec l’usage de ces nouveaux outils.
Selon toi, la France est-elle en retard sur les arts numériques/immersifs ? Qu’est-ce qui manque pour faire de Paris l’équivalent de Montréal, de Bruxelles, de Londres ou même de Taïwan ?
Louis-Paul Caron : Pour moi, la France n’est pas en retard, et l’on peut voir avec des événements comme la NFC, le Grand Palais Immersif ou les expositions Digit-All et Marais DigitARt que l’actualité artistique numérique est très dynamique en France ! En revanche, je pense que le marché de l’art et les collectionneurs traditionnels français restent plus frileux qu’à l’étranger, la période de folie spéculative des NFT n’ayant pas aidé à l’introduction légitime de l’art numérique… Mais on peut sentir un intérêt croissant pour les artistes sincères qui ont une démarche conceptuelle et qui s’inscrivent dans la grande histoire de l’art.