En décembre dernier, en marge de la soirée « French Immersion » au Bass Museum of Art, à Miami, on rencontrait Mohamed Bouabdallah. Aujourd’hui, le Directeur de la Villa Albertine, résidence d’artistes créée en 2021 par la France aux États-Unis, affirme l’importance pour les artistes hexagonaux spécialisés dans la XR de prendre en compte le marché américain.
On entend souvent dire que la France se positionne comme un pays prescripteur au sein de la création immersive. Est-ce le cas ?
Mohamed Bouabdallah : Absolument ! Notre pays a la capacité de mettre à profit notre créativité unique héritée notamment du cinéma, et l’utilisation des nouvelles technologies dont beaucoup nous viennent du jeu vidéo, tout en s’appuyant sur d’excellentes écoles de création numérique (Gobelins, ArtFX, Enjmin…). Les créateurs peuvent également compter sur un soutien public qui n’a aucun équivalent dans le monde, que ce soit pour la production des œuvres avec les aides du ministère de la Culture, ou ici aux États-Unis où la Villa Albertine a dès le lancement de son programme de résidences intégré la création numérique comme discipline à part entière, accompagnant depuis sa création dix-huit artistes nouveaux média.
Selon une étude réalisée par Unifrance en 2022, les œuvres immersives françaises ont généré des revenus d’un million d’euros à l’export ce qui peut encore paraître modeste. Mais cela représente 175 ventes dans un marché très émergent, et signifie également une présence très forte dans les festivals internationaux. Ces dernières années, on ne compte plus les prix remportés par les Français dans les festivals les plus prestigieux : à Venise, Cannes, SXSW ou Tribeca (On the Morning you Wake, Impulse: Playing With Reality, Maya, Empereur…). La nouvelle compétition immersive lancée par le Festival de Cannes montre également que nous sommes à l’aube d’un changement de paradigme avec la convergence entre les domaines du cinéma et de la création numérique.
L’enjeu n’est-il pas désormais de permettre à ces œuvres d’aller au-delà des festivals, et de rencontrer des publics beaucoup plus larges, notamment aux États-Unis ?
Mohamed Bouabdallah : Les États-Unis, grâce à l’étendue du territoire et la concentration de nouvelles technologies et d’investisseurs, représentent un marché incontournable pour l’immersif. Il y a plus de 300 lieux qui pourraient accueillir cette forme d’art et quatre grands festivals majeurs (SXSW, Tribeca film festival, Filmgate interactive festival, Sundance).
Pour les festivals, comme nous l’avons vu, les Français sont partout et remportent très régulièrement les plus grands prix. Villa Albertine permet d’ailleurs chaque année à plus de quarante professionnels de la XR d’être présents dans ces festivals grâce à notre programme de bourses de mobilité « French Immersion », en partenariat avec Unifrance, l’Institut Français et le CNC.
« La demande des publics américains est importante et est en train de muter. »
Ainsi, en 2024, au prestigieux festival SXSW au Texas, l’un des événements majeurs pour l’innovation et les technologies immersives sur le territoire américain, l’expérience VR Empereur produite par Atlas V et France Télévisions a remporté le prix « XR experience Spotlight » et sept œuvres françaises ont été présentées. Au Festival de Tribeca, le résident Villa Albertine, Ugo Arsac, a été sélectionné au marché avec son projet d’expérience virtuelle souterraine de New York, développé en résidence, Katabasis soulignant l’attrait international pour les productions hexagonales. Le Filmgate Miami Festival a mis en avant dix projets français. L’œuvre en développement, The Shadow, présenté par le studio Blanca Li a remporté le prix du marché. Enfin, aux Emmy awards, Wallace & Gromit et Empereur ont été nominés, Empereur ayant même gagné le prix « Competition for Outstanding Emerging Media ».
Pour les lieux, en revanche, tout reste à faire ! Et c’est vraiment maintenant que cela se joue, car la demande des publics américains est importante et est en train de muter. De nouveaux lieux capables d’accueillir des expériences immersives prennent vie sur tout le territoire : centres dédiés avec écrans LED géants comme Mercer Labs à New York ou Superblue à Miami, des réseaux de dômes ou planétariums comme ce que propose Sphere ou Cosm, des musées des Sciences comme à Boston… Les Français ne sont pas en reste avec les salles Eclipso qui diffusent les expéditions immersives de la société Excurio (Horizon of Khurfu, Un soir avec les Impressionnistes), déjà présentes à New York et Atlanta.
À l’avenir, quel rôle la Villa Albertine peut-elle jouer dans ce secteur ?
Mohamed Bouabdallah : La Villa Albertine intervient de trois façons. D’abord, via notre programme de résidences, qui permet à des artistes de venir s’immerger plusieurs mois afin d’explorer un sujet particulier qui a un lien avec les États-Unis. Ensuite, via les bourses de mobilités « French Immersion », qui comme nous l’avons vu, permettent aux Français une présence exceptionnelle dans les plus grands festivals américains.
Enfin, nous avons décidé de répondre au défi de la diffusion et de la distribution via les nouvelles bourses de programmation « French Immersion Exhibition Grants », avec un objectif simple mais essentiel : soutenir les institutions culturelles américaines dans la présentation d’œuvres d’art immersives françaises – poursuivant la tradition que nous avons établie avec notre programme « Étant Donnés » pour les arts visuels au cours des trente dernières années.
« La Villa Albertine peut jouer ce rôle de trait d’union entre le meilleur de la création immersive française et la diversité des lieux américains. »
Cette année, pour la première fois, cinq institutions culturelles américaines ont reçu une subvention de 10 000 dollars, ce qui permettra à des œuvres d’art immersif primées à Cannes, Venise ou Miami de toucher 7 000 personnes sur le territoire à New York, Boston, Los Angeles, San Francisco et Atlanta. Cette nouvelle initiative est soutenue par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en partenariat avec l’Institut Français et nous souhaitons la reconduire l’an prochain.
Le maillage de partenaires et d’institutions US aurait donc pour particularité d’être très divers ?
Mohamed Bouabdallah : En effet ! On retrouve d’ailleurs bien cette diversité dans les cinq lieux accompagnés par notre programme de bourses de programmation : musées des Sciences ou librairies publiques y côtoient des universités ou des centres culturels. La force de Villa Albertine est justement là, via sa présence dans dix villes sur tout le territoire et ses programmes aussi bien culturels qu’éducatifs et universitaires. Nous pouvons jouer ce rôle de trait d’union entre le meilleur de la création immersive française et la diversité des lieux américains pour atteindre notre plein potentiel.
Les projets soutenus par la Villa Albertine sont les suivants :
- The Museum of Science, Boston (Massachusetts)
- Encounters, de Mathieu Pradat
- Arizona State University, Los Angeles (Californie)
- Colored, de Tania de Montaigne
- Public Libraries, Fulton County Arts and Culture, Atlanta (Géorgie)
- The Real Thing, -22.7, Dreamin’Zone, et Bloom.
- Gray Area, San Francisco (Californie)
- The Siren, de Mélanie Courtinat
- Games for Change à Parsons School of Design, New York (New York) et Arizona State University, Los Angeles (Californie)
- Impulse: Playing with Reality (prod. Anagram, Floreal et France TV)
Cette interview, réalisée par Mehdi Mejri, directeur Immersif Art & Culture de Fisheye Immersive, a été initialement publiée dans le 43e numéro de notre newsletter éditoriale.