Aux côtés de Marjolaine Lévy, Mustapha Azeroual s’immisce pour la première fois au sein de l’art immersif tout en se tenant à bonne distance des technologies énergivores qui régissent habituellement ce type de scénographie. Un coup de maître ? Oui, en même temps qu’une excellente façon de questionner la matérialité de l’image.
Et si de nouvelles formes de narrations naissaient de l’abstraction ? Mustapha Azeroual et Marjolaine Lévy veulent y croire, eux qui partagent un même champ de recherche, à la fois plastique et photographique, autour de l’abstraction, fascinés par sa capacité à toucher presque de manière aveugle, par sa faculté à en dire parfois plus qu’une image figurée. C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années avec Radiance, un projet qui s’intéressait à la couleur de la lumière. Ça l’est de nouveau avec The Green Ray, qui prolonge cette expérience de la couleur en un dispositif optique, presque cinétique, volontiers immersif. « The Green Ray se présente en deux parties, détaille Mustapha Azeroual. Deux panoptiques aux enjeux techniques propres vont se déployer au cloître Saint-Trophime, à Arles, avec notamment un dispositif vidéo qui va être comme un sas d’accueil pour rentrer dans l’œuvre ».
S’immerger dans les images, ne faire qu’un avec elles, voilà la belle ambition de Mustapha Azeroual et Marjolaine Lévy, parfaitement conscients du potentiel des technologies immersives, des perceptions nouvelles qu’elles suggèrent.« C’est en brouillant les pistes et en créant un désir de regarder, de revoir que je trouve un intérêt, explique Mustapha Azeroual. Travailler sur ce que l’on ne voit pas, mais qui est agissant sur le regard est ce qui m’intéresse. »
Ralentir le temps
Dans une société tournée vers la surconsommation, où les yeux d’être humain voient en moyenne 1200 messages publicitaires par jour, où les images se scrollent sans jamais être mémorisées, il est en effet de la responsabilité des artistes de proposer d’autres manières de voir, d’observer, de favoriser une contemplation, un rapport presque méditatif au quotidien. D’où, à en croire Marjolaine Lévy, cette recherche de l’immersion, qui « permet de ralentir ». Elle poursuit : « Le ralentissement, dans notre société, n’existe plus, on ne prend plus le temps. L’installation The Green Ray nous pousse à décélérer, et donc forcément à contempler et à méditer. C’est aussi pour ça que le mobilier que nous avons réalisé avec les ingénieurs BMW, ce n’est pas juste un joli banc. Il fait presque partie de l’œuvre, et permet ce moment d’arrêt et de vivre une expérience. D’une certaine manière, l’immersion accompagne cette contemplation ».
Une expérience à 360°
Marjolaine Lévy cite alors en référence un philosophe allemand, Hartmut Rosa, qui a beaucoup écrit sur la décélération au sein de l’époque contemporain. On comprend ainsi que ce qui intéresse le duo est moins les images que la relation au temps qu’elles suggèrent, les défis qu’elles engendrent. Pour The Green Ray, il a notamment fallu imaginer un déploiement à 360°, produire un panoptique lenticulaire de plus de 4 mètres, « un triptyque comportant une même image qui va bouger optiquement de la même manière ». Pour la première fois, il a également fallu penser à la place du spectateur, au rôle qui lui serait assigné une fois au sein de l’œuvre, à ses possibles réactions une fois confronté à la vision – inédite – d’un astre solaire en haute mer.
C’est en effet là l’un des grands enjeux de The Green Ray : mettre en jeu le système nerveux du spectateur, favoriser l’émotion de ce dernier sans se tourner vers le grandiose, ni en employant les grands moyens, mais bien en restant au plus près d’un propos artistique et de préoccupations écologiques. Plutôt que de partir en bateau pendant plusieurs mois, Mustapha Azeroual a ainsi préféré solliciter une communauté de navigateurs à même de capturer des images inédites de ces espaces inexplorés. Preuve qu’une fois encore, ce n’est pas tant la beauté esthétique qui intéresse le duo, mais la prédominance d’un discours, d’une vision, l’expérimentation des supports photographiques.