Lancé en 2023 le projet Visiophare propose une alternative au mapping numérique, plus accessible, plus écoresponsable, plus low-tech. OYÉ Label et Croco Fumé, les deux structures qui portent ce projet atypique, cherchent ainsi à recycler et à améliorer des appareils longtemps laissés à l’abandon et connus de tous… de vieux projecteurs d’école, qu’ils transforment en outils de mapping analogique. Rencontre.
Ironiquement, les initiales de Visiophare (VP) – sont les mêmes que le mot « vidéoprojecteur ». Sauf qu’ici, il n’y a besoin d’aucun ordinateur, la démarche d’OYÉ Label portant sur la mise en commun de connaissances (forum, tutoriels vidéo, plans en open-source) et sur un travail artistique organique. « On s’est demandé comment faire du mapping sans gros matériels électroniques, explique Paul Vivien, l’un des membres du collectif, à l’origine du projet Visiophare. On a commencé à travailler sur des anciens rétroprojecteurs d’école en portant notre étude sur l’optique et l’électricité. Avec quelques modifications, on a conçu un appareil de 200w capable d’éclairer avec une puissance d’environ 10 000 lumens ». Suffisamment pour réaliser des mapping monumentaux sur des bâtiments.
Côté empreinte environnementale, le bilan est prometteur. La conception « ne demande pas de création de matière neuve, excepté pour la LED et son contrôleur électronique qui viennent de Chine, poursuit Paul Vivien. Au total, nous avons estimé à 50 grammes de composants neufs et environ 500 grammes de quincaillerie neuve. Sur un VP de puissance équivalente et acheté en commerce, il y a environ 50 kg de matière neuve ».
Au fil des recherches, un prototype de VP low-tech équipé d’une batterie de voiture recyclée et chargée par panneau solaire a même été imaginé. « Cela fonctionne, mais nous ne l’avons pas encore appliqué à l’ensemble des VP », commente Paul Vivien. Le bilan est malgré tout positif, particulièrement éloquent, d’autant que le cycle de vie de l’appareil a été pensé en amont avec Tom Hebrard, artiste d’OYÉ Label et spécialiste de la low-tech. Des matériaux recyclables et issus du réemploi ou des pièces facilement remplaçables composent en grande partie l’appareil. « Tous les plans sont open source et plusieurs tutoriels sont à disposition pour faire une transmission de pratiques. On apporte aussi une vraie innovation sur la création artistique. »
Valoriser le geste et la simplicité du mouvement
La démarche est effectivement originale, le travail de projection consistant à créer des visuels à partir de calques transparents posés sur le rétroprojecteur. Simple et efficace. Paul Vivien ajoute : « L’analogique n’est pas antinomique avec le principe d’animation. C’est l’objet de recherche qui retient le plus notre attention. Comment faire de l’animé sans avoir d’ordinateur ? C’est une démarche low-tech qui nous inspire, on essaye d’imaginer des dispositifs mécaniques ou avec des fluides qui apparaissent sur les calques. Cela nous amène vers d’autres disciplines comme la danse, le conte, le théâtre qui permettent de trouver d’autres logiques d’immersion ou d’animation complémentaires aux visuels. »
« L’analogique n’est pas antinomique avec le principe d’animation. »
En mars dernier, Visiophare a justement organisé un événement à Rennes où le public était invité à créer des visuels projetés à l’aide de divers liquides – eaux, huiles, encres -, tout en manipulant un mécanisme de pompes. Des techniques de gravure, de superposition ou de réfraction sont d’autres exemples de ce potentiel créatif. « Les publics présents lors de l’événement à Rennes nous ont fait part de leur enthousiasme, se réjouit Paul Vivien. On nous dit souvent que c’est incroyable de pouvoir faire du mapping avec de vieilles machines qui ont, en plus, une charge symbolique. Et puis de voir le geste d’un auteur ou d’une autrice, d’observer un travail manuel, ça rend la chose magique. »
Le style OYÉ
Un spectacle sur-mesure, AR Lumen, est en cours de conception. Il sera présenté courant 2024 avec ce dispositif de VP low-tech. Cette création, imaginée par Paul Vivien et Tom Hebrard, deux membres d’OYÉ Label, est intéressante également de par son caractère performatif : d’une représentation à une autre, les visuels projetés ne sont pas nécessairement les mêmes. Ils varient en fonction des calques, des techniques déployées et de l’architecture des lieux.
« Tous les membres d’OYÉ ont des techniques et des esthétiques différentes – de la 3D, du glitch, du dessin animé »
À l’image de cette performance évolutive, le collectif OYÉ – qui porte Visiophare avec Croco Fumé – se revendique multiple et protéiforme. Si Paul Vivien travaille en parallèle de Visiophare sur un live AV prolongeant son exploration de la low-tech (une performance AV sans ordinateur reproduisant des paysages à partir de vinyles 33 tours), les autres membres d’OYÉ sont tout aussi intéressants dans leur approche artistique. « Tous les membres d’OYÉ ont des techniques et des esthétiques différentes – de la 3D, du glitch, du dessin animé », explique Dylan Cote, un des artistes du label.
Les dix artistes d’OYÉ, répartis entre Rennes, Paris, Marseille ou Montréal, partagent toutefois une même valeur : « Chacun pose un regard critique sur les technologies numériques. Et ce que l’on aime par-dessus tout, c’est de proposer un univers organique et vivant dans nos œuvres. Les formes géométriques et froides, ce n’est pas la marque de fabrique d’OYÉ. » Exemple avec l’installation Carrousel, une structure circulaire en bambou qui dessine des tableaux lumineux visibles sous divers angles. Ou encore OYÉ circus, une scène immersive à 360° et itinérante où sont présentés des travaux des membres du collectif et ceux d’autres artistes (DJs, performeurs…). De là à imaginer une nouvelle version d’OYÉ circus intégrant uniquement des projecteurs Visiophare ? Il n’y a qu’un pas que l’on a hâte de voir franchi.