Étiquettes de nos bagages, galeries photos des téléphones, applications collaboratives… Gare à ce qu’on laisse à sa portée ! Bérénice Serra est une artiste multimédia puisant son inspiration dans l’espace public et, plus précisément, dans les flux d’informations personnelles qui y circulent. Vous l’aurez compris : elle agrège les traces que chacun propage, consciemment ou non, derrière soi et s’en sert pour livrer sa vision de nos sociétés hyper numérisées. Son travail invite à s’émanciper des collectes de données qui se font à notre insu. Pour montrer la voie, elle organise des expositions pirates d’oeuvres digitales sur les smartphones à la vente des magasins d’électronique, ou bien « ouvre une brèche créative » dans le stock participatif d’images de Google Street View… Et surtout, à 33 ans, la Française sait amener des sujets politiques avec un second degré et une dimension ludique jouissive.
Un élément biographique
« J’ai eu une adolescence qui a été marquée par la perte de plusieurs de mes proches et notamment celle de ma soeur aînée qui avait alors 20 ans, décédée dans un accident de la route. Le jour qui suivit, je recevais le journal qui annonçait l’accident. Dans cet article, il y avait une photographie sur laquelle on pouvait reconnaître une route avec, au premier plan, un arbre et un bouquet de fleurs. Seulement, sur la route qui correspondait à l’accident, il n’y avait pas d’arbre. L’image diffusée venait d’une banque d’images. Quelques années plus tard, je me suis intéressée à la question de la publication et aux différentes dimensions liées à la circulation des images dans les médias traditionnels puis, plus récemment, en ligne, sur le web et les réseaux. »
Une oeuvre
« On peut dire que Résidence, exposée pendant la Biennale Nemo à Paris en 2019, marque vraiment mon entrée dans la création numérique. C’est une oeuvre qui se concentre sur le droit d’auteur (« copyright ») qui est attribué aux images chargées, par les utilisateur·ices, sur la plateforme Street View. Celui-ci implique que l’utilisateur·ice est responsable des contenus qu’il ou elle charge en ligne mais il permet aussi de déjouer les conditions d’utilisation de la plateforme et de prendre des libertés concernant la correspondance entre les coordonnées du lieu et l’image qui est censée le documenter. Avec un petit groupe d’artistes et ami·es, c’est sur ce principe que l’on a fait disparaitre la statue de la liberté de Liberty Island, que l’on a pu créer une archive en ligne de la ZAD mais aussi que l’on s’est amusé·e·s à expérimenter de nouvelles formes 360° dans les paysages-bulles de la plateforme. »
Un sujet d’inspiration
« Je me suis beaucoup intéressée aux questions juridiques qui entourent les pratiques de partage d’images en ligne : à qui appartiennent les images que nous publions, à quelles fins elles peuvent être utilisées, quelles sont les limites, etc. Pour moi, il y a un enjeu politique fort dans ce travail. En ce moment, je poursuis cette réflexion mais je m’intéresse aussi à des perspectives plus radicales : par exemple, comment continuer à communiquer de manière sécurisée à travers nos outils numériques lorsque l’on habite dans un lieu où la liberté d’expression est mise à mal ou bien lorsque nos gouvernements décident de restreindre l’accès à Internet. Je m’intéresse aussi, de plus en plus, aux techniques d’enquête en open source, lorsqu’elles sont déployées par la société civile à partir d’informations et d’images partagées en ligne. »
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