À la frontière des arts numériques, du cinéma et de la réalité virtuelle, Rémi Sagot-Duvauroux est un artiste-monteur, designer de réalités virtuelles et chercheur dont les œuvres réunissent la grammaire cinématographique et la narration XR. Dans ses différentes collaborations, il propose un dialogue singulier entre art performatif et créations immersives qui interroge notre relation aux espaces numériques et à la scène, tout en posant un regard neuf sur les techniques narratives appliquées à la VR.
Passionné d’expériences performatives mêlant narration interactive, spectacle vivant, et réalité virtuelle, Rémi Sagot-Duvauroux travaille à l’émergence de nouvelles scénographies grâce à l’hybridation de décors réels et d’environnements virtuels. Son activité de monteur – il a notamment été assistant sur les longs métrages d’animation La tortue rouge de Michael Dudok de Wit, ou La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, et chef monteur des films d’animation documentaires Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan et Le Parfum d’Irak de Léonard Cohen – et ses études en post-production, trucages et effets spéciaux, ainsi qu’une pratique du code, font de Rémi Sagot-Duvauroux un « artisan technologique », à cheval entre deux mondes, le réel et le virtuel, la pratique du montage cinématographique traditionnel et celle des technologies immersives.
« Mes dispositifs visent à flouter et reconfigurer les frontières entre réel et virtuel, entre images et espaces », explique le jeune homme, également chercheur, œuvrant en parallèle de ses activités professionnelles à une thèse SACRe au sein de l’université PSL (Paris Sciences & Lettres). Rémi Sagot-Duvauroux est également l’auteur de deux publications : Rythme(s) d’espaces 1 : Étude sur l’usage de la réalité virtuelle pour la mise en scène avec Vivianna Chiotini, dans le cadre des Journées d’Informatique Théâtrale 2022, et The Hitchcock Experience – a Spatial Montage project avec Nils Quaetaert, François Garnier et Rémi Ronfard, dans le cadre d’ISEA 2023. Fin connaisseur des nouveaux formats de création, qui hybrident la VR et le langage cinématographique, Rémi Sagot-Duvauroux délivre ici un propos précieux, qui explique les coulisses de son travail en même temps qu’il détaille les éléments à avoir en tête au moment de se lancer dans la création d’expériences immersives.
1/ S’inspirer du montage cinéma pour monter en réalité virtuelle
La pratique du montage est une hybridation en soi. Le monteur est à la fois le fabriquant et le primo-spectateur. De là à penser que la fabrication d’une forme spectaculaire dans laquelle le monteur agit directement sur le spectacle est assimilable à l’expérience de la réalité virtuelle (où le spectateur est également actant), il n’y a qu’un pas : « Je pense que l’on peut combiner les techniques du montage traditionnel et le travail dans les espaces du virtuel pour faire apparaître de nouvelles formes spectaculaires. C’est là qu’est la clé d’une création hybride intéressante pour moi. L’espace de la réalité virtuelle est particulièrement fascinant car c’est un espace narratif, animé par le corps et l’esprit ».
Depuis 2016, Rémi Sagot-Duvauroux s’intéresse aux formes non linéaires et spatiales proposées par les dispositifs de réalité virtuelle. En intégrant le groupe de recherche Spatial Media de l’EnsadLab (laboratoire de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris) spécialisé dans l’étude des pratiques artistiques dans des espaces numériques, il découvre comment, à partir d’une pratique artistique, il est possible de faire émerger des questions relatives à l’art, au design, mais aussi à d’autres domaines, comme les sciences cognitives, les sciences sociales, l’informatique, etc.
« Dans mes différentes collaborations, j’essaie de travailler la question du montage dans sa réception : comment on perçoit un montage en réalité virtuelle ? Comment on le vit avec son corps, d’un point de vue physiologique ? Quels sont les effets cognitifs et émotionnels des discontinuités spatio-temporelles en réalité virtuelle ? En un sens, j’essaie aussi d’explorer cette question du montage dans sa fabrication : comment monter ? Quels outils et techniques inventer ? De là découle un questionnement sur “comment s’inspirer de la pratique du montage pour penser le montage en réalité virtuelle ?”. Comment on peut être, par nos gestes, par des interactions qui peuvent passer de l’implicite à l’explicite, une forme de marionnettiste du montage dans lequel on est également le spectateur ou la spectatrice ».
2/ Créer ses propres outils
« Dans ma thèse je me penche sur l’idée de “corps-monteur”. Je m’inspire du fait que l’on est d’une part issue d’une culture du montage de l’image en mouvement et d’autre part, que l’on a un certain nombre d’habitudes d’espace qui provoquent certaines réponses comportementales, avec des formes de mises en scène, des problématiques d’attention, etc. » Pour ses scénographies en VR, Rémi Sagot-Duvauroux travaille à l’échelle de la VR Room. L’enjeu étant de penser l’expérience Room Scale avec certains codes du cinéma et une approche de cinéaste, même si pour lui les questions d’UX et de Game Design inhérentes au jeux vidéo sont prégnantes, et indissociables de l’expérience de réalité virtuelle. « J’ai créé une sorte de table de montage en VR dans laquelle je peux placer mes personnages, mes décors, mes sons et des zones délimitées dans lesquelles je peux à tout moment littéralement me projeter en changeant d’échelle. Cela me permet de tester ma mise en scène en oscillant rapidement entre la fabrication et la réception »
Un outil que l’artiste a largement utilisé dans ses créations : « J’ai fait tester cet outil par des artistes évoluant dans différents domaines pour voir comment ils et allaient s’en emparer. Je collabore régulièrement avec une scénographe et metteuse en scène, Vivianna Chiotini, qui fait sa thèse au conservatoire d’Art Dramatique (SACRe, CNSAD-PSL) et travaille sur la forme triptyque au théâtre. Elle étudie la manière dont on peut isoler certains interprètes pour créer une scénographie globale en expansion en ayant trois espaces distincts. Notre projet collaboratif, Rythme(s) d’espaces, explore l’hybridation de scénographies réelles et virtuelles comme un outil et une nouvelle méthode de mise en scène. Nous étudions depuis deux ans comment différentes caractéristiques dynamiques des espaces virtuels influencent les corps performants en VR et la représentation perçue par le public. ».
3/ Équilibrez narration et usage technologique
Aujourd’hui encore, il est difficile de trouver le bon équilibre entre la narration cinématographique dirigée et l’interactivité offerte par la réalité virtuelle. Offrir aux spectateurs une expérience immersive qui leur permet d’explorer et d’interagir avec l’environnement virtuel tout en maintenant une structure narrative solide reste un défi. À en croire Rémi Sagot-Duvauroux, maintenir l’attention de l’utilisateur, la concentrer sur le contenu et la narration, sans se laisser happer par la fascination technique est également un challenge : « Les technologies sont avant tout un moyen d’approche. Pourtant, pour beaucoup de gens, enfiler un casque et se trouver dans une pièce vide qui se peuple d’éléments virtuels est encore une expérience technologique exceptionnelle. Capter l’attention sur les lignes narratives est complexe, mais c’est aussi une question de design : pour arriver à des interactions supra-naturelles dans ce type d’environnements immersifs il faut passer par un certain nombre de codes et de standards connus de tous qui correspondent à des interactions dans le monde réel ».
La prise en main de ces techniques passe ainsi par la capacité des créations à donner au public la possibilité d’interagir avec les éléments occupant un univers virtuel. Ce qui, selon Rémi Sagot-Duvauroux est déjà une charge cognitive implicant un certain apprentissage : « C’est pour cela que tout mon travail autour de la question du montage consiste à comprendre plusieurs éléments : comment on peut s’inspirer d’un rapport à l’image “montée”, une manière de regarder, de recomposer, de travailler sur des motivations (conscientes ou inconscientes) du regard pour faire émerger de nouveaux effets signifiants ; comment on rend plus explicites certaines interactions pour impliquer petit à petit le corps immergé dans le découpage narratif », détaille l’intéressé, avant de conclure avec un dernier conseil : « Il faut créer des moments clés où les actions du spectateur ou de la spectatrice influencent de manière pertinente le déroulement spatio-temporelle de l’histoire, tout en veillant à ce que ces interactions ne compromettent pas la cohérence narrative globale ».