Incarné par une Nuit Blanche festive et rassembleuse, Montréal en Lumière a chaque année la bonne idée d’inclure des œuvres numériques au cœur d’une programmation tournée également vers la gastronomie et les expériences grand public. Retour les temps forts d’une édition portée une promesse : « voir la nuit sous un autre jour ».
« Habituellement, la Nuit Blanche, c’est une double promesse : celle de visiter des galeries jusqu’au petit matin, mais aussi celle de faire la fête en extérieur, au beau milieu de l’hiver montréalais. Malheureusement, cette année, cette deuxième promesse ne pourra pas être tenue. » Jacques Primeau, directeur général du groupe SPECTRA, à l’origine de l’organisation de Montréal en Lumière, fait là allusion à ce qui semble animer toutes les conversations locales : l’absence de neige et le climat printanier, choses extrêmement rares en cette période où les températures oscillent généralement entre -10° et -15°.
Une nuit de lumières
Le samedi 2 mars, exceptionnellement, il n’a donc pas fallu s’armer de courage (ou du moins, d’un gros manteau) pour déambuler dans les rues du Quartier du Spectacle, entre les (très) nombreux spectacles, installations, événements et performances proposés. Jusqu’au petit matin, c’est en effet tout le périmètre qui s’anime, s’agite et vibre au rythme des DJs sets et des propositions artistiques. L’alcool, qu’il est possible de déguster entre deux galeries (les différents couloirs de l’Édifice Belgo, labyrinthique centre d’art, en témoignent), joue évidemment un rôle dans cette désinhibition, mais toute cette euphorie ne peut lui être imputée. Il y a en effet trop de diversités esthétiques, de variété de points de vue ou de propos singuliers pour ne pas considérer à sa juste mesure le rôle de l’art dans ce grand raout, festif et familial.
Climax de Montréal en Lumière, la Nuit Blanche donne ainsi une toute autre allure, un élan supplémentaire, aux différentes installations numériques et luminaires cadrillant le quartier du spectacle, tel un écho à celle qui se joue de l’architecture du Centre Phi depuis août dernier (Myriade chromatique) : Solstice, qui invite le public à prendre le contrôle de l’environnement qui l’entoure, Planètes, présentée sous la forme d’une constellation d’astres, Gravitation, une vidéoprojection générée par les données météorologiques du Quartier des spectacles des dernières 24 heures. Toutes sont finalement plus ludiques que dotées d’une vraie vision artistique, mais toutes se révèlent particulièrement efficaces dès que l’on observe les familles ou les couples, curieux, interagir avec ces dispositifs évolutifs. Sur la place principale, légèrement surélevée, à côté de la Place des Arts, on aperçoit également Cymopolée, l’œuvre de Luminariste déjà expérimentée lors de la dernière édition de Scopitone et indéniablement l’une des œuvres lumineuses françaises qui s’exporte le mieux à l’international.
En marge de la Nuit Blanche
Pour prendre la pleine mesure de Montréal en Lumière, et donc aller à la rencontre d’œuvres plus avant-gardistes, moins destinées au grand public, il faut toutefois s’éloigner quelque peu de son point d’ancrage et de ses hauts bâtiments recouverts de jeux de lumières – mention spéciale au mur de la Maison du jazz, où 25 portraits de artistes légendaires, passés par le Festival International de Jazz de Montréal, ornent les différentes fenêtres du building, le tout accompagné par un podcast en réalité augmentée racontant l’histoire derrière ces différentes venues et performances.
Une fois légèrement éloigné du brouhaha de la foule, on prend ainsi connaissance de trois œuvres ayant durablement marqué les rétines. Il y a déjà celle en extérieur, Last Species on Earth (2022) de l’artiste locale Shonee, une installation vidéo en boucle de quatre minutes nourries des théories de Donna Haraway (The Companion Species Manifesto) et mettant en scène une nature génétiquement modifiée (en gros, les animaux servent désormais d’accessoires aux humains) dans des visuels à l’esthétique futuriste. Il y a aussi celle aux Ateliers Belleville, au Nord de la ville, où Charline Dally, une artiste numérique montréalaise, est venue présenter une vidéo prolongeant son approche hypersensible, poétique et introspective dans des séquences à l’univers bleuté, pensées comme autant d’instants de douceur. Il y a enfin Grandeur Nature qui, dans le studio des 7 Doigts de la main, l’une des plus grosses compagnies de Cirque au Québec, déploie un système interactif infrarouge permettant de créer des œuvres numériques inspirées des grandes mosaïques du peintre canadien, Jean-Paul Riopelle.
Fidèle aux habitudes, cette Nuit Blanche se conclut une fois de plus à la SAT (Société des arts technologiques), véritable institution des arts numériques (les bureaux de MUTEK y résident), où un marathon musical consacré à la culture vinyle et au Djing est organisé durant 24h, au sein de la « Satosphère » : un dôme de 18 mètres de diamètre et 13 mètres de hauteur, équipé de 8 projecteurs vidéo et de 157 haut-parleurs afin de placer le public au cœur de l’expérience audiovisuelle. On ne va pas se mentir, le nom des DJs présents ce soir-là nous échappe, et l’on s’en excuse. Ce qui reste en tête, en revanche, ce sont ces visuels à 360°, symboles de ces nouveaux territoires conceptuels et numériques dont Montréal se veut être l’épicentre.