Membre du jury de la seconde édition de Cannes Immersive 2025, Tetsuya Mizuguchi est une figure majeure du monde vidéoludique. Retour sur la carrière du fondateur de Q Entertainment.
Né en 1965 au Japon, Tetsuya Mizuguchi poursuit des études en ingénierie et design sonore à l’Université Nihon. Un savoir-faire qu’il continue depuis d’aiguiser, à la fois comme concepteur de jeux vidéo, comme musicien, comme artiste sensoriel ou comme théoricien de l’immersion. Retour sur cinq jalons d’une carrière qui a indéniablement brouillé les frontières entre art, jeu vidéo et expérience perceptive.
1990 – L’aventure SEGA
Fraîchement diplômé, Tetsuya Mizuguchi entre chez SEGA alors qu’il est âgé de 25 ans. Fasciné par la fusion entre design sonore, graphisme et mouvements, il y développe des titres emblématiques comme SEGA Rally Championship et Space Channel 5. Mais déjà, son intuition dépasse le gameplay : Tetsuya Mizuguchi voit dans le monde vidéoludique un terrain d’exploration sans fin capable de provoquer des états de conscience modifiés.
L’interface devient alors interface au monde, le jeu, lui, une expérience synesthésique. Figurant parmi les bornes d’arcade les plus vendues depuis sa création par l’éditeur japonais, SEGA Rally révolutionne le genre et devient le premier jeu de course à intégrer les notions de changement de revêtement et de variable de conduite en fonction du style de chaussée. Un premier pas vers l’immersif.
2003 – Fondation de Q Entertainment
Cette approche narrative de l’art vidéoludique est précisément ce qui l’incite, en 2003, à créer le studio de développement de jeux vidéo Q Entertainment aux côtés d’anciens salariés de SEGA. Avec ce projet, Mizuguchi ouvre un nouveau chapitre : celui d’un design interactif fondé sur le rythme, la lumière et la répétition. Les jeux musicaux géométriques pour consoles portables Lumines et Meteos en sont d’ailleurs les meilleurs témoins. La musique électronique devient alors langage, servis par des pixels qui redéfinissent les contours de ce monde virtuel. Le gameplay n’est plus une mécanique mais une chorégraphie mentale. C’est officiel : le concept de jeu total fantasmé par Tetsuya Mizuguchi prend enfin vie.
2016 – Lancement de Rez Infinite
Lancé initialement en 2001 avec SEGA, le jeu Rez devient Rez Infinite quinze ans plus tard, une version pensée pour la VR. Une suite logique, anticipée par le concepteur dès la conception du jeu original. Comme il le confie à Médium : « Il n’y a pour moi que deux options : soit les jeux se contenteront d’être non interactifs, comme c’est le cas aujourd’hui, et alors ils stagneront. Soit ils gagneront en interactivité, et seulement alors ils évolueront dans la bonne direction. »
Rez Infinite n’est donc pas qu’un remaster, mais bien une expérience transcendée où graphisme et son se synchronisent presque comme par magie. Le joueur évolue dans un espace suspendu où chaque geste génère lumière et son. En 2016, un nouveau niveau est donc ajouté au jeu : « Area X », un espace expérimental inspiré du concept qui veut que l’on puisse « voir les sons » ou « entendre les couleurs » de l’artiste russe Wassily Kandinsky.
2019 – Création du Synesthesia Lab à Tokyo
Fondé par Tetsuya Mizuguchi lui-même, le Synesthesia Lab explore les croisements entre neurosciences, perception et création numérique. Loin du jeu vidéo traditionnel, cette plateforme permet d’étudier la manière dont les sens dialoguent à travers l’image, le son et le mouvement. C’est un laboratoire où le ressenti prime sur la narration. L’œuvre devient interface sensorielle. Et le spectateur, un corps à l’écoute. « En vous libérant de votre corps grâce à cet appareil équipé de deux haut-parleurs et de 44 actionneurs vibrants, vous vous sentirez comme enveloppé dans un monde de sons, de lumières et de vibrations, » résume le site du Synesthesia Lab.
Sorte d’organisme vivant lumineux et pulsé, l’espèce de chaise longue qui incarne les recherches du laboratoire invite ainsi le spectateur à la détente et donc, à une immersion totale, presque thérapeutique.
2020 – Lancement de Virtual Realms avec le Barbican Centre
En collaboration avec le Barbican Center à Londres, Tetsuya Mizuguchi imagine « Virtual Realms », une exposition majeure sur les nouvelles formes d’art immersif proposant six nouvelles expériences complètement inédites. Il y conçoit une installation, en collaboration avec le studio Rhizomatiks, mêlant technologies interactives et design émotionnel. Également invités, thatgamecompany, FIELD.IO, Media Molecule, Marshmallow Laser Feast, KOJIMA PRODUCTIONS, The Mill, Tequila Works, The Workers, David OReilly et onedotzero conçoivent des mondes mondes vibratoires, où le public est invité à se laisser traverser par des flux d’informations qui touchent, bousculent et apaisent.
L’espace devient sensible, presque vivant. Quant au jeu vidéo, il ne se consomme plus avec distance, mais enveloppe le joueur jusqu’à devenir un monde à part entière.