Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive remonte le fil de l’histoire jusqu’à la source de l’art numérique contemporain : le computer art. Aujourd’hui, direction Stuttgart et le New York des années 1960, où se déroulent les premières expositions dédiées au genre. Assurément, un nouveau style est né !
La semaine dernière, nous vous racontions la fabuleuse histoire d’un employé d’IBM s’étant amusé à dessiner une pin-up sur un ordinateur à usage militaire en 1953. Et bien sachez qu’en seulement quelques années, ce qui n’était alors qu’une tentative isolée de tromper l’ennui s’est rapidement transformé en un style artistique à part entière. Dix ans plus tard, en 1963, la Une du pourtant très professionnel magazine Computers and Automation fait ainsi la part belle à une composition d’un jeune technicien du MIT, Ebram Arazi.
Qualifiée de « surréalisme électronique » par les éditeurs de la revue, cette œuvre est la première à s’afficher en première page du média, représentant habituellement des ingénieurs souriant devant leurs machines. Une œuvre d’art qui ne se cache pas d’en être une : « Le pinceau est un faisceau d’électrons ; la toile, un oscilloscope ; le peintre, un ordinateur électronique », écrit à son propos le magazine. Un choix éditorial qui emballe tellement les responsables de Computers and Automation qu’ils lanceront, dès le mois suivant, un concours annuel dédié à la création par ordinateur.
Une institutionnalisation rapide
Il faut dire que le média a eu du nez. Quelques années auparavant, le Britannique Desmond Paul Henry s’essayait lui aussi à l’art génératif, via notamment la création en 1961 d’une machine à dessiner électromécanique, basée sur les capacités d’un ordinateur Bombsight analogique adapté, puis via l’exposition, dès 1962, de ses créations à la Reid Gallery de Londres. En parallèle, l’ingénieur A. Michael Noll programme un ordinateur numérique aux Bell Telephone Laboratories de Murray Hill, dans le New Jersey, afin de générer des motifs visuels à des fins artistiques. De part et d’autre de l’Atlantique, les scientifiques deviennent peu à peu artistes. Au centre de l’attention, l’ordinateur, lui, devient un médium à part entière, au même titre que le pinceau ou la toile.
Au rythme des expositions
Il n’en fallait pas plus aux institutions pour flairer, à leur tour, le filon. En 1965, trois expositions voient le jour : tandis que Georg Nees: Computergrafik à la Technische Hochschule de Stuttgart, en Allemagne, présente des œuvres de Georg Nees, Computer-Grafik, à quelques pas de là, à la Galerie Wendelin Niedlich, célèbre le même artiste aux côtés de Frieder Nake. Quant à la troisième, Computer-Generated Pictures, elle se tient à la Howard Wise Gallery de New York et met en scène les travaux de Bela Julesz et A. Michael Noll.
Très vite, les solo shows intimistes font place aux grosses expositions collectives blockbusters. C’est ainsi qu’en 1968, l’Institut des Arts Contemporains accueille l’exposition Cybernetic Serendipity, considérée aujourd’hui comme le premier grand évènement consacré à l’art cybernétique et électronique. L’occasion d’institutionnaliser un peu plus un mouvement en devenir, notamment grâce au colloque mis en place à l’occasion de l’exposition tenue à Zagreb, en Yougoslavie, intitulé « Ordinateurs et recherche visuelle ». C’est désormais officiel : le computer art n’est plus l’apanage de quelques ingénieurs aventureux, mais bel et bien un style artistique, avec ses codes, ses représentants et, enfin, sa visibilité au sein des institutions muséales.