Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive remonte le fil de l’histoire jusqu’à la source de l’art numérique contemporain : le computer art. Aujourd’hui, zoom sur l’œuvre Pixillation de Lillian Schwartz, emblème d’une décennie marquante pour le développement de l’art numérique.
La semaine dernière, nous nous sommes concentrés sur les années 1960, époque charnière pour le développement et l’institutionnalisation du computer art. Ça y est : de grosses expositions dédiées aux artistes utilisant l’ordinateur dans leur processus créatif ont vu le jour, le public est désormais au fait de ces nouvelles manières de créer et les artistes eux-mêmes continuent d’évoluer sur le terrain de l’expérimentation. C’est notamment le cas de Lillian Schwartz.
Née en 1927, aux États-Unis, d’une mère britannique et d’un père russe, Lillian Schwartz grandit dans une famille qui encourage très tôt sa créativité. Après s’être essayée à l’ardoise, la boue et la craie, tout en étudiant l’anatomie et la biologie dans l’idée de devenir infirmière, la jeune femme part officier au Japon, période durant laquelle elle contracte la polio. Encore malade et traumatisée à son retour aux États-Unis, elle se plonge à corps perdu dans une pratique artistique pour tenter de se réparer. Huile, acrylique, collage ou usage de matériaux recyclés, Lillian Schwartz s’essaie à tout, comme une artiste de son temps.
Création d’un nouveau modèle hybride
Sachant cela, il n’est finalement pas étonnant d’apprendre que, dès 1966, Lillian Schwartz choisisse de se tourner vers la technologie, qui continue de gagner du terrain dans les sphères artistiques. En associant caissons lumineux et dispositifs mécaniques, elle commence à développer une pratique tournée autour de la sculpture cinétique. En 1968, elle est sélectionnée pour participer à l’exposition The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age du MoMA (New York), où elle fait la rencontre de Leon Harmon qui l’invite aux Laboratoires Bell afin d’étudier la programmation et l’informatique, mais aussi dans l’idée de travailler avec des scientifiques.
Parmi eux, un certain Kenneth « Ken » Knowlton, spécialisé dans les langages de programmation, avec lequel Lillian Schwartz entame une étroite collaboration. Pour cette dernière, le scientifique crée rien de moins que des images numériques générées par des algorithmes. Lesquelles, associées à des peintures manuelles, deviennent des collages numériques et des films.
Grain de pixels
Parmi ces multiples travaux, il y a notamment Pixillation, réalisé en 1970, au cœur d’une année où est également publié l’ouvrage fondateur Computer Program for Artists : ART 1. Alors que Kenneth « Ken » Knowlton écrivait « EXPLOR » (Explicit Patterns, Local Operations, and Randomness), un nouveau langage de programmation permettant la manipulation de rectangles et d’objets aléatoires carrés en deux dimensions noirs, gris et blancs, Lillian Schwartz reçoit une commande d’AT&T afin de réaliser un court-métrage d’animation par ordinateur.
Suivant une partition du compositeur de musique électronique Gershon Kingsley, le film reprend des peintures manuelles de l’artiste modifiées par des filtres de couleurs imaginés par Schwartz, ainsi que par des distorsions informatiques. Si Pixillation est une véritable explosion de couleurs marquant un tournant dans l’usage de l’ordinateur au sein du champ artistique, l’œuvre signe aussi la fin de la collaboration entre l’Américaine et le Bell Labs, l’équipe du laboratoire lui reprochant d’avoir laissé un véritable bazar derrière elle. Comme on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, on ne marque pas l’histoire de l’art sans éclabousser quelques murs ! Dès lors, les futurs films de Lillian Schwartz n’associeront plus œuvres manuelles et algorithmes, l’artiste préférant se concentrer désormais sur des images générées directement par informatique.