Quel avenir pour les plantes, et donc pour l’humanité ? À l’heure où 40% des espèces végétales sont menacées, les scientifiques particulièrement préoccupés se penchent très sérieusement sur la question. Ils ne sont pas les seuls. À leur manière, les artistes tentent de dialoguer avec elles afin d’apporter des éléments de réflexion, grâce notamment à l’intelligence artificielle, comme le montre l’exposition Ce que disent les plantes, à découvrir au Grenier à sel d’Avignon jusqu’au 22 décembre.
Pour célébrer le bicentenaire de la naissance du célèbre naturaliste Jean-Henri Fabre (1823-1915), le Grenier à sel ouvre un dialogue entre les plantes et les artistes. En résulte une exposition singulière et plurielle : Ce que disent les plantes. Singulière car inédite. Plurielle parce qu’elle rassemble douze artistes issus d’horizons variés : Donatien Aubert, Karl Blossfeldt, Betty Bui, Miguel Chevalier, Thierry Cohen, Jean Comandon, Valère Costes, Jean-Henri Fabre, Jérémy Griffaud, Fabrice Hyber, Benjamin Just, Laurent Pernot, Sabrina Ratté, Max Reichmann et Aurèce Vettier.
Qu’ils ou elles soient cinéastes, photographes, dessinateurs, peintres, plasticiens, artistes 3D ou VR, chacun est invité à aborder avec sa propre sensibilité le sujet développé autour de trois axes : célébrer, conserver et recréer. À l’occasion de cette exposition fascinante et onirique, le Grenier à sel se métamorphose ainsi en herbier mêlant monde réel et virtuel, les artistes s’intéressant particulièrement à la mutation des plantes, à la possibilité d’en dévoiler les troublantes évolutions.
Un imaginaire fertile
En tant que sujet ou motif, le monde végétal intéresse les artistes depuis toujours, essentiellement pour sa beauté. Cette exposition a toutefois le mérite de montrer à quel point, depuis le début du 20ème siècle, certains tentent de le comprendre, et ainsi de communiquer avec lui. En 1928, le photographe allemand Karl Blossfeldt révèle dans son ouvrage Les formes originelles de l’art des détails et des textures de plantes que personne n’avait jamais vu auparavant. Un an plus tard, Jean Comandon constitue le premier herbier proprement cinématographique en filmant au plus près l’éclosion de fleurs dans La croissance des végétaux.
Aujourd’hui, Paul Mouginot, alias aurèce vettier (nom créé à l’aide d’un algorithme), en a conçu un tout nouveau en partenariat avec l’intelligence artificielle : « Pour réaliser cette toile areal.collect(128), représentant une série de feuilles, j’ai numérisé plus de quatre millions de planches d’herbiers trouvées sur des sites de musées d’histoire naturelle ou réalisées par mes soins, explique-t-il. Avec, j’ai nourri un algorithme d’intelligence artificielle qui en a inventé un nouveau. J’y ai fait mon marché afin de constituer et peindre cet herbier, mais quand on regarde de plus près, on voit bien que ces feuilles ne sont pas réelles, notamment à cause de leurs asymétries. De la même manière, j’ai réalisé cinq sculptures en bronze de bois perdu générées par l’IA. On y décèle des formations non naturelles. Mon objectif est d’obtenir grâce à l’IA des vibrations jamais explorées. Je la perçois comme un exhausteur, tel le poivre avec le chocolat ».
Ainsi, aurèce vettier accélère le temps et offre à voir au public une nature futuriste et difforme, car secouée par la technologie : peut-être est-ce là également une hyperbole des effets néfastes exercés par la radioactivité et la la pollution sur la nature ?
Avec l’IA, les plantes prennent de la graine
Pionnier de l’art virtuel et numérique, Miguel Chevalier a lui aussi sollicité l’IA : « Je lui ai demandé de me constituer un herbier en allant puiser dans celui de Jean-Henri Fabre ou d’autres que j’avais constitués à partir de plantes sélectionnées à divers moments de leur vie, argumente-t-il. Pour réaliser cette toute nouvelle œuvre, Meta-Nature IA, j’ai utilisé Midjourney. Je lui ai demandé de me donner un rendu des plantes proche de celui que l’on obtient avec un scanner, puis de constituer des tableaux mouvants à partir d’une base de données ».
À l’image de la nature, cette œuvre numérique, qui se reflète sur le sol comme dans un lac, est ainsi en perpétuel mouvement – en vie pourrait-on dire. « Je m’inspire des toiles de Monet qui travaillent sur la variation du temps », précise-t-il.
Dans cette exposition, quelques artistes numériques tissent également des liens entre présent et futur. Donatien Aubert a ainsi reconstitué un bouquet en impression 3D de fleurs Disparues (2020), tandis que Sabrina Ratté, dans sa série Floralia (présentée à la Gaité Lyrique en 2022, à Paris), ressuscite des espèces végétales oubliées dans un univers où la technologie et le monde organique fusionnent à merveille. Ces quatre vidéos enivrantes plongent le spectateur dans un laboratoire contemplatif et poétique : une utopie numérique !
Des racines et des herbes en VR
La 3D, le numérique, l’IA et la VR permettent aux artistes d’envisager tous les scénarios possibles, y compris celui, jouissif mais dangereux, de la revanche de la nature sur l’homme. Dans sa vidéo VR en 360°, The Origin of Things, Powerplant (2022), Jérémy Griffaud immerge ainsi le spectateur au sein d’une nature futuriste et psychédélique réalisée à l’aquarelle, qui se soulève face à son asservissement. Pleine de belles promesses sur le papier, l’œuvre se révèle un peu confuse si on ne prend pas le temps de s’y balader longuement. Une frustration doublement renforcée par un manque d’équipement : deux casques à peine ont été mis à la disposition des curieux, ce qui est peu pour quiconque souhaite s’éterniser et saisir les intentions de l’artiste sans agacer les autres visiteurs.
Heureusement, c’est bien là la seule note négative d’une exposition qui, de la forêt étoilée de Thierry Cohen (Carbon Catcher #20, 2018) aux troncs et aux feuilles respirants de Benjamin Just (Forêt résiliente 2021-2023) et Betty Bui (Respirations, 2001), pose et affirme un constat essentiel : les plantes, lorsqu’elles sont vues par le prisme des artistes, ont indéniablement des choses à nous dire sur notre écosystème menacé. Écoutons-les.