Artiste multimédia, diplômé du département des Arts médias de l’Académie nationale des beaux-arts de Chine à Hangzhou, Lu Yang répand sa bienveillance au-delà de son pays natal. À la Fondation Louis Vuitton, il présente actuellement une installation vidéo inédite qui s’articule autour de son nouveau film DOKU The Flow, deuxième chapitre d’une série consacrée à son alter-ego, à travers lequel il expose sa philosophie bouddhiste et défend le principe de causalité.
DOKU est la contraction du mot japonais 読書 毒死 (dokusho dokushi) qui signifie « on naît seul, on meurt seul ». Désormais, c’est également le nom du héros des expérimentations spirituelles et poétiques de Lu Yang, une réincarnation numérique à travers laquelle l’artiste chinois explore une nouvelle forme de liberté. Tel un danseur-acrobate androgyne, cet avatar aux multiples visages évolue dans des mondes virtuels quasi post-apocalyptiques dans lesquels il transcende les limites du corps physique. Pour ce faire, Lu Yang s’est immergé dans la philosophie bouddhiste, et explique aujourd’hui la manière dont celle-ci est venue nourrir un travail aussi contemplatif que complexe.
Comment et pourquoi vous êtes-vous intéressé aux arts numériques ?
Lu Yang : Le public et la critique m’ont classé dans la catégorie des artistes numériques, mais je ne cherche pas spécialement à en être un. D’ailleurs, que je sois ou non considéré comme un artiste n’a pas d’importance. Je choisis simplement d’utiliser certains des outils les plus pratiques et disponibles au sein de mon époque pour exprimer des idées fondamentales.
À ce propos, qu’est-ce qui vous fascine dans les mondes post-apocalyptiques ?
Lu Yang : Je ne suis pas particulièrement fasciné par l’apocalypse, je le suis davantage par les règles universelles de la vie : l’apparition, l’existence, la détérioration, puis le vide. C’est pour ça que Bouddha est extrêmement présent dans DOKU The Flow, dans le sens où sa sagesse a répondu à mes questions sur l’univers tout entier.
« Je choisis simplement d’utiliser certains des outils les plus pratiques et disponibles au sein de mon époque pour exprimer des idées fondamentales. »
«Doku » est la contraction d’un mot japonais signifiant « on naît seul, on meurt seul ». Doit-on y voir un clin d’œil à votre rapport à la philosophie bouddhiste ?
Lu Yang : Cette expression est issue des écritures bouddhistes du Sūtra de Vie-Infinie qui traitent de la nature individuelle de la vie : chaque être naît et meurt en tant qu’individu indépendant. Cette doctrine dit que nos expériences personnelles ne peuvent être ni partagées ni transférées, même si les gens peuvent interagir et se croiser. Cette notion met l’accent sur la responsabilité individuelle, et rappelle que chacun doit être responsable de ses actes et de leurs conséquences. Ce concept est aussi lié à la doctrine bouddhiste de « Anatta » (non-soi), qui suggère que les individus devraient voir à travers eux et transcender leur attachement au « soi », en réalisant que le « soi » est un phénomène temporaire et en constante évolution. Cette compréhension permet de réduire les pensées et les comportements égocentriques, et ainsi de favoriser la compassion et la compréhension de l’autre. J’ai aussi choisi ce nom car il est facile à diffuser et à retenir.
D’un point de vue technique, comment avez-vous créé le personnage DOKU ?
Lu Yang : J’ai scanné mon propre visage en 3D et je l’ai construit à l’aide de logiciels et de moteurs de jeux vidéo.
Cette réincarnation numérique représente-t-elle pour vous une nouvelle forme de liberté ? Est-ce une manière de définir ou de redéfinir l’être humain au-delà des questions de genre ou de nationalité ?
Lu Yang : Je refuse absolument de restreindre la liberté de mon personnage DOKU en lui collant des étiquettes binaires. Il s’en affranchit totalement. Pour lui, le sexe, la nationalité, l’âge, tous ces éléments ne sont pas sources de discussions.
« Je refuse absolument de restreindre la liberté de mon personnage DOKU en lui collant des étiquettes binaires. »
Quelle est l’importance du Karma pour vous, et dans votre travail ?
Lu Yang : Notre monde fonctionne sur le principe de causalité. Que nous y prêtions attention ou que nous l’ignorions, ses lois restent inchangées. Quel que soit notre point de vue, nous ne pourrons pas les modifier. Bien entendu, je les respecte et j’y crois fermement. J’espère aborder chaque action avec respect envers le principe de causalité.
Tandis que DOKU The Self explorait principalement le pseudo-concept du soi, DOKU the Flow plonge dans l’idée de la dissolution du soi, quitte à révéler son omniprésence dans l’univers en tant que concept fluide. Travaillez-vous d’ores et déjà à un troisième chapitre ?
Lu Yang : Je travaille actuellement sur la troisième partie, intitulée DOKU The Illusion. Pour le dire très clairement, celle-ci explore le caractère illusoire de notre existence, en commençant par un débat entre le monde virtuel et le monde réel, interrogeant ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.
- DOKU The Flow, jusqu’au 9 septembre 2024, galerie 8, Fondation Louis Vuitton, Paris.