Extension de l’exposition historique Univers programmés, au macLYON et dont Fisheye Immersive est partenaire, Échos du passé, promesses du futur privilégie la créativité actuelle. Portée par une sélection d’œuvres frondeuses, elle fait d’une simple croyance une vérité irréfutable : oui, le numérique est bel et bien devenu un acteur central de l’art contemporain.
David Lynch disait que certaines peintures de Francis Bacon ou Jérôme Bosch lui avaient appris à appréhender la colère ou à mettre le pied dans un autre univers. Il en est ainsi : par leurs visions décalées, oniriques ou au contraire réalistes, les artistes nous aident à voir le monde. Parfois, pour mieux s’en éloigner – pensons ici à No More Reality (1991), œuvre fameuse de Philippe Parreno, actant l’idée qu’une génération en avait assez de la réalité, qu’il était temps d’explorer d’autres récits, d’autres territoires, aux confins de mondes artificiels. D’autres fois, il s’agit plus volontiers de se confronter à sa complexité, comme pour mieux favoriser une prise de conscience, provoquer un changement – ou du moins, sensibiliser. L’époque s’y prête : aux grands rêves des années 1990 ont succédé la disparition de centaines d’espèces et de végétaux, le manque de perspectives quant à l’avenir et l’accélération du dérèglement climatique.
C’est fort de ce constat que la commissaire de l’exposition Échos du passé, promesses du futur, Marilou Laneuville, a composé un programme et une scénographie d’une totale fluidité, où les œuvres les plus marquantes ont cette qualité : réfléchir au temps présent. « Il y a la volonté ici de mettre en avant une intelligence collective associant des artistes qui ont conjugué leur art avec les connaissances de scientifiques, de chercheurs ou d’artisans pour une meilleure transmission d’une mémoire de la nature. Mais aussi pour proposer une expérience peut-être plus poétique et sensorielle. »
Une exposition en trois temps
Pour cela, Marilou Laneuville a pensé l’exposition en trois temps : une première partie sur les vestiges du passé, une seconde sur la fragilité du temps présent, et une dernière plus ouvertement spéculative, avant tout portée sur les récits d’anticipation. C’est au sein de cette celle-ci que l’on retrouve Virginie Ittah, moitié du duo Ittah Yoda, dont l’installation inédite Learning To Fly se déploie au sein d’un espace où les technologies semblent absentes.
Des peintures sur toile, des sculptures, une pierre vocalnique de Volvic, des œuvres olfactives : a priori, aucune trace ici de réalité virtuelle, d’intelligence artificielle ou de modélisation 3D. Et pourtant… « La technologie ne s’exprime pas dans la monstration, elle est au cœur du processus de création, précise Virginie Ittah. Les peintures, par exemple, sont d’abord réalisées dans la réalité virtuelle, tandis que les sculptures sont composées à partir de scans 3D de plancton ainsi que de la photogrammétrie d’un modèle vivant. Il y a aussi toutes ces images qui créent un dialogue entre les peintures rupestres préhistoriques et les images générées par l’IA ».
Au sein du même espace, on retrouve quelques classiques, déjà largement documentés au sein de nos pages – Floralia de Sabrina Ratté, Digitalis de Léa Collet, The Pond de Bianca Shonee Arroyo-Kreimes. De nouveau charmé, on préfère malgré tout focaliser notre attention sur l’œuvre du duo suédois Wang & Söderström – Rehousing Technosphere, un film d’animation 3D explorant via la forme documentaire une nouvelle écologie de la planète – et sur celles présentées par aurèce vettier : the Mountain is the bond between Earth and Sky (forms derived from hemp), datée de 2022, mais surtout ces différentes pièces inédites présentées au sein d’un même lieu, transformé ici en une espèce de forêt artificielle où la végétation est de nouveau prétexte à l’émerveillement, où de nouvelles formes de vie peuvent naître de l’IA, où une certaine idée de la nature technologique trouve sa pleine définition.
Une autre représentation des relations interespèces
Si l’exposition saisit autant, au-delà de son casting, c’est aussi de par son choix de confier aux artistes des espaces solo, de manière à leur permettre de montrer pleinement leur univers et leur vision du monde. Dans ce contexte, les œuvres d’Alexandra Daisy Ginsberg (conçue auprès d’experts en pollinisateurs et un scientifique spécialisé dans l’IA) ou de Daniel Godínez Nivón (des plantes fictives reconstituées par une projection holographique) apparaissent dans leur étroite singularité, sans forcément être imperméables les unes aux autres.
Usant des aquarelles, des sculptures oxydées et des technologies CGI pour réfléchir aux interactions interespèces sur Chronicles From In-Between 495 to 570 nm – nommée ainsi en référence aux longueurs d’ondes du spectre visible d’une couleur située entre le bleu et le vert -, Kasia Molga entretient en effet une évidente correspondance avec les Jardins Cybernétiques de Donatien Aubert, installés à quelques mètres à peine. Placées ainsi, en face à face, comme pour inciter le public à renégocier son rapport au monde, les deux œuvres en deviennent absolument bouleversantes.
Autre coup de cœur : Perpetual Present, de Sofia Crespo. Soit douze ensembles constitués de carreaux en céramiques imprimés en 3D puis peints par un robot imitant les techniques utilisées dans les peintures rupestres. « Tout l’enjeu de Sofia Crespo est d’envisager de nouvelles manières de réinterpréter des représentations issues de grottes préhistoriques, ici celle d’Altamira en Espagne, dont les peintures pariétales datent d’environ 36 000 ans avant notre ère, précise Marilou Laneuville. En représentant des animaux ou des espèces végétales vivant actuellement sur la péninsule ibérique, vulnérables ou vouées à disparaître, il s’agit aussi de laisser une trace de ces espèces en voie d’extinction, notamment grâce aux nouvelles technologies ».
Explorer les vies artificielles
Là encore, le numérique ne s’expose pas. Il est au cœur du processus. Là encore, on bascule de la préhistoire à l’ère anthropocène, d’un monde préhumain à un potentiel monde sans espèces animales. Là encore, il s’agit de penser autrement une planète à bout de souffle. Ce qu’entreprend également Vica Pacheco, une artiste mexicaine domiciliée à Bruxelles dont la série de vases en céramique conçue à l’aide de la modélisation 3D (The Flower Requiem Whistling Vases, 2024) est aussi sublime qu’inquiétante : l’apocalypse prend ici la forme d’une œuvre plastique et sonore, s’incarne dans des vases qui, tels des flûtes à eau, grâce à l’impulsion du souffle et du son qui s’en dégage, accompagnent dans un ultime requiem les fleurs vers leur fin de vie.
Avec Échos du passé, promesses du futur, il s’agit donc moins de retourner l’utopie en dystopie, ou même d’installer le public dans les mirages de la science-fiction. L’exposition se reçoit plus volontiers comme une ode aux artistes qui réconcilient nature et technologie, explorent la mémoire des espèces végétales ou animales, pensent aux vies artificielles. Quand, par exemple, Justine Emard s’inspire de l’intelligence collective des abeilles pour déployer Supraorganism, une installation optique, sonore et robotique composée de sculptures et de verres animées par l’IA, au sein de laquelle on se déplace comme on le ferait dans un palais des glaces ou une grotte, c’est d’une beauté ou d’une profondeur réflexive hallucinantes.
- Échos du passé, promesses du futur, jusqu’au 13.07, macLYON.