Le 28 mars 1985, le Centre Pompidou donnait l’impression d’ouvrir de nouveaux mondes avec Les Immatériaux, une exposition imaginée Jean-François Lyotard et le théoricien du design Thierry Chaput. Comme n’importe quelle proposition pionnière, l’évènement est toutefois incompris. Pire, il suscite de nombreuses inquiétudes. Flashback.
Il en a fallu du courage au Centre Pompidou pour investir les 2 300 mètres de carrés de sa Grande Galerie avec une telle exposition, volontiers post-moderne, au titre quelque peu provocant au sein d’une ère où le virtuel commence (déjà) à gagner de l’espace : Les Immatériaux. Imaginée par le philosophe Jean-François Lyotard et le théoricien du design Thierry Chaput, la manifestation a non seulement pour but de « faire éprouver le sentiment de l’achèvement d’une période et la curiosité inquiète qui naît à l’aube de la postmodernité », mais elle a également le mérite d’annoncer une nouvelle ère : celle de l’informatisation de la société. Pour preuve, dès l’entrée, le spectateur se voit remettre une carte magnétique conservant en mémoire son trajet jusqu’à la sortie, où une imprimante dévoile alors une cartographie complète de sa déambulation.
Une exposition qui fait date
S’il paraît délicieusement rétro aujourd’hui, l’événement bouleverse à l’époque tous les codes de la muséologie. Dans une scénographie troublante, agrémentée de filtres visuels produits par des superpositions de résilles métalliques, de bandes-audio diffusées par des casques à infra-rouge et de « dérouleurs » de textes projetés, les commissaires alternent oeuvres d’art et dispositifs scientifiques. Il s’agit de témoigner des changements en cours et à venir, de rompre avec les comportements anciens, rendus caduques par l’essor des nouvelles technologies, mais aussi, à en croire le communiqué de presse de l’époque, d’affirmer que la crise touche alors « les domaines de la sensibilité, de la connaissance et des pouvoirs de l’homme (fécondation, vie, mort), des modes de vie (rapport au travail, à l’habitat, à l’alimentation) ».
Marcel Duchamp, Kasimir Malévitch, Liliane Terrier, Daniel Soutif et Rem Koolhaas rencontrent ainsi des casques Philips, et autres premiers ordinateurs, comme pour signifier que l’art, la science et la technique avancent plus que jamais dans le même sens. Niveau pérennité, Les Immatériaux a également donné lieu à une publication, Épreuves d’écriture, s’appuyant sur les contributions éclairées de nombreux philosophes tels que Jacques Derrida, Bruno Latour, Isabelle Stengers. Preuve que l’événement a fait date : l’année dernière, dans le cadre d’un projet de recherche européen, « Beyond Matter », mené au long cours par le Musée national d’art moderne, l’exposition a été reconstituée dans une salle-dossier présentant un environnement virtuel interactif conçu par les équipes de Beaubourg. La conclusion parfaite.