Hier la VR, aujourd’hui l’intelligence artificielle : depuis 29 ans, le salon Museum Connections dévoile et ouvre les débats sur les tendances en matière d’expérience culturelle et touristique. Désormais incontournable, la question de l’immersion est largement abordée, sous formes de conférences et de pavillons spécifiquement dédiés, par une nouvelle édition à découvrir les 16 et 17 janviers à Porte de Versailles.
« IA & musées : quelles révolutions ? » ; « IA & musées : vers une nouvelle expérience visiteur ? » ; « Expérience visiteur de demain : entre humanisation et digitalisation » : ces questions et ces thèmes, parmi tant d’autres, constituent à l’évidence le fil rouge de la nouvelle édition de Museum Connections, évènement toujours aussi essentiel pour comprendre, décoder et décrypter les tendances et les dernières innovations d’une industrie culturelle obsédée par le numérique. Quelques jours avant l’ouverture des portes, Claire de Longeaux, directrice de Museum Connections, et Antoine Roland, expert nouvelles technologies pour Museum Connections, prennent le temps de poser un regard sur les évolutions en cours.
En termes d’expérience de visite, la tendance es clairement à l’immersion. De quelle façon le sujet est-il abordé au Museum Connections ?
Claire de Longeaux : Sur le sujet, nous avons trois pavillons dédiés à l’immersion : un premier consacré aux hautes technologies comme l’AR, la VR et la XR ; un second baptisé JEDI qui présente un large éventail des formes d’immersion possibles, allant jusqu’au spectacle vivant ; et enfin un troisième qui met l’accent sur les expositions itinérantes qui sont de plus en plus immersives.
Antoine Roland : L’immersion sera également abordée durant d’autres temps forts comme les duos de l’innovation. Y interviendront des duos composés à la fois de partenaires technologiques ou audiovisuels et des membres de lieux culturels. Actuellement, nous observons une forte émergence des projets immersifs sonores. Par exemple, les équipes du Rize et du studio Nuits Noires ont travaillé main dans la main pour mettre en place un nouveau dispositif sensoriel et principalement sonore qui permet de révéler, via un téléphone portable et des écouteurs, les différentes couches patrimoniales d’une ville, ici en l’occurrence Villeurbanne. Autre exemple : Audio Room. Cette application pour tablettes a été conçue par Unendliche Studio pour le musée national de la Marine. Elle permet au visiteur d’enregistrer tout un ensemble de sons durant la visite et ensuite de les mixer. Ainsi, il s’immerge davantage dans l’environnement sonore du parcours.
Au sein des institutions, les expériences VR ou XR se développent également de plus en plus. Dans quelle optique ?
Antoine Roland : De plus en plus de parcours augmentés sont mis en place, faisant appel à de la XR, de la réalité augmentée ou superposée. Les exemples sont très nombreux, et beaucoup d’acteurs interviendront à Museum Connections. SAOLA Studio, par exemple, s’est associé au Centre national de la mer Nausicaá pour créer un spectacle immersif et embarquer les visiteurs au fond des océans. Grâce à des lunettes, le visiteur peut observer dans un bassin, qui par définition n’est pas très profond, des poissons des profondeurs. SAOLA Studio avait déjà travaillé avec le Muséum National d’Histoire Naturelle pour redonner vie à des animaux disparus. Dans ce cas et d’autres, l’usage de l’immersion virtuelle permet d’augmenter un parcours de visite et de recréer des éléments patrimoniaux disparus ou difficiles d’accès.
Autre exemple : Le Casino Disparu : Une Épopée Immersive, au Musée Masséna de Nice. Grâce à la réalité augmentée, les visiteurs évoluent dans le mythique Casino de la Jetée-Promenade de Nice à son âge d’or. De même, le Hangar Y propose une expérience en réalité mixte grâce à Realcast qui plonge le visiteur en ce même lieu à l’heure où il abritait les dirigeables et le fleuron de l’aéronautique du 19ème siècle. Ces nombreux projets soulignent combien les institutions mesurent l’importance de préserver et de célébrer notre patrimoine à travers des innovations modernes, pour créer une expérience qui transcende les limites temporelles.
« L’usage de l’immersion virtuelle permet d’augmenter un parcours de visite et de recréer des éléments patrimoniaux disparus ou difficiles d’accès. »
La VR et ses dérivés sont présents depuis plusieurs années, comment évoluent-ils ?
Antoine Roland : La technologie existe depuis quelques temps et s’est perfectionnée. Nous arrivons à des solutions qui permettent des exploitations à plus grande échelle. Jusqu’alors, pour une expérience VR, nous avions 5 à 10 casques disponibles, il fallait deux ou trois médiateurs pour onboarder chaque visiteur. Une fois équipé, il fallait leur expliquer comment fonctionnait le dispositif et les accompagner. Aujourd’hui, nous avons des solutions technologiques beaucoup plus simples qui permettent donc d’être développées à grande échelle. Preuve en est avec la société espagnole UNIVRSE qui a travaillé avec IDEAL Barcelona – Centre d’Arts Digitals sur Dalí Cybernétique, une expérience VR qui rassemble une soixantaine de visiteurs en simultané.
La VR est certes tendance, mais elle n’est pas la seule expérience permettant de valoriser notre patrimoine. Le low-tech tire également son épingle du jeu. À croire que l’immersion n’est pas uniquement synonyme de prouesses technologiques.
Antoine Roland : En effet, un grand nombre d’institutions propose une immersion via un spectacle théâtrale et des comédiens ou de l’escape game – c’est le cas de beaucoup de châteaux en France, comme celui de Rambouillet. En renouvelant l’expérience, cela leur permet de fidéliser une clientèle parfois locale. Au-delà de la technologie, l’enjeu est désormais de mettre en place des expériences économiques et éco-responsables qui soient faciles pour les visiteurs. Nous observons que les institutions ont une approche de l’immersion pratique ou participative qui s’intègre soit dans une démarche de médiation servant les enjeux patrimoniaux avec une revitalisation d’un patrimoine disparu ou difficilement accessible, soit dans une démarche poétique afin de créer davantage de profondeur à une expérience de visite.
Parmi mes coups de cœur, il y a d’ailleurs la start’up Aglaé, qui a imaginé à Chartres un parcours singulier et poétique en utilisant un sérum qu’ils ont inventé. En l’implantant dans les végétaux, ils les illuminent et ainsi permettent au visiteur de s’immerger dans la végétation. C’est une innovation low-tech assez simple, mais très efficace.
« L’enjeu est désormais de mettre en place des expériences économiques et éco-responsables qui soient faciles pour les visiteurs. »
La dernière grande tendance des derniers mois est évidemment l’IA. Comment les institutions l’intègrent-elle ?
Antoine Roland : La tendance est principalement à l’IA générative permettant de produire et de créer des expériences immersives. Le Théâtre antique d’Orange propose un nouveau parcours-spectacle immersif, l’Odyssée Sonore, dont le videomapping a été généré intégralement par l’IA. Elle est aussi utilisée à des fins de médiation : Ask Mona, par exemple, développe des chatbots qui permettent aux visiteurs de rentrer en contact avec les artistes ou les personnages d’œuvres d’un parcours d’exposition. Mais surtout, elle est utilisée pour traiter des données. L’outils de gestion de la relation client Convious utilise l’IA afin de mieux contextualiser les données et de pouvoir les utiliser de façon plus efficace. Avec l’IA, nous sommes en train de vivre une révolution mais invisible, notamment avec les usages qui en sont faits dans la documentation et l’archivage, pour pouvoir faire parler les bases de données et accélérer les regroupements de données à des fins scientifiques. Nous n’en sommes qu’au début.