Très jeune, Pierre Moulin manifeste sa passion pour l’image et les jeux vidéo, avant que son parcours post-Bac (les Beaux-Arts de Paris-Cergy, les Gobelins) ne le pousse à s’intéresser davantage au cinéma, à la scénographie, et plus largement encore à l’art numérique. Aujourd’hui, ses œuvres servent non seulement à agrandir un peu plus les fenêtres sur lesquelles nous jetons un regard sur le monde, mais elles contiennent également des dizaines de références que le Parisien consent à détailler.
C’est le premier miracle du travail de Pierre Moulin, le plus évident : malgré l’immensité des paysages façonnés, souvent dans une esthétique à la fois maximaliste et immersive, l’endroit où son œuvre nous installe reste un confessionnal, un espace solitaire, propice à la contemplation, où « les joueurs sont confrontés à leurs relations avec la nature et à leur responsabilité environnementale ».
D’un individu qui prend le temps d’arpenter des mondes inconnus, le regard curieux, on dit qu’il s’agit d’un observateur. Cette définition sied parfaitement à Pierre Moulin, dont les personnages, souvent désenchantés, se plaisent à observer autour d’eux, le cœur lourd, en quête d’introspection, à la recherche d’une meilleure compréhension de soi. Quelques mois avant la tenue de son premier solo, où sera présentée une nouvelle œuvre en réalité virtuelle (Le grand silence), celui qui vient de créer le collectif Distraction aux côtés d’artistes bien identifiés de nos services (Jonathan Coryn, Stella Jacob, Mélanie Courtinat) prend le temps d’expliquer les multiples inspirations qui semblent lier ses différents projets.
What Remains of Edith Finch – Giant Sparrow
« Les jeux vidéo ont vraiment bercé toute mon enfance. J’ai consacré des jours entiers à explorer des mondes virtuels depuis mon salon, vivant des aventures que je ne vivrais probablement jamais, parcourant des paysages impossibles en incarnant le corps d’un autre. Pour moi, les jeux vidéo sont bien plus que de simples divertissements. Ils nous offrent des voyages qui enrichissent notre expérience sensorielle et transforment notre perception du monde, malgré leur nature numérique. What Remains of Edith Finch m’a particulièrement marqué. Je l’ai découvert juste après mes études aux Beaux-Arts, où je me concentrais sur le numérique et la scénographie. Ce jeu résonnait avec mon parcours.
Il illustre parfaitement la narration environnementale, un procédé très utilisé dans le jeu vidéo où mise en scène et interactivité se mélangent pour donner vie à un monde abandonné par les humains, tout en restant incroyablement vivant grâce à sa scénographie. Je pense que sa découverte m’a donné envie de créer à mon tour des expériences à l’intersection de l’art et du jeu vidéo. »
Annihilation – Alex Garland
« C’est par hasard que je suis tombé sur ce film quelques mois après sa sortie. Je l’ai regardé sans en attendre grand-chose, et c’est probablement une des plus grosses claques cinématographiques que je me suis prise. C’est la première fois que je voyais de la science-fiction aussi sensible et aussi dérangeante. En plus d’avoir une direction artistique assez proche de celle de mon travail, j’ai adoré la manière dont ils ont réussi à créer une vraie crainte de la nature en tant que telle, de même que la façon dont chaque élément qui la compose peut-être perçu comme hostile. C’est justement ce que je cherche à faire dans mon travail : faire en sorte que le spectateur se sente vulnérable face à l’immensité de la nature, dont on connaît si peu les fonctionnements. Lorsque j’ai appris que le film s’inspirait d’une série de livres, j’ai immédiatement acheté La trilogie du Rempart Sud de Jeff VanderMeer pour en savoir davantage.
C’est grâce à ce film et à ces livres que l’un de mes plus gros projets de jeu vidéo a germé : MYCÉLIUM. Il s’agit d’un jeu vidéo actuellement en production avec le soutien du CNC, que j’ai écrit et que je développe avec l’aide précieuse d’Octave Magescas, Nino Filiu et Alex Sinh Nguyen. Dans ce jeu, le joueur incarne un protagoniste désenchanté qui se sent étrangement attiré par un écho lors de son sommeil. Accablé par le chaos urbain et obsédé par cet appel sirénien, il se lance dans une quête pour en découvrir l’origine, qui le conduit vers un gouffre caché au cœur des montagnes, abritant une forêt souterraine aux propriétés étranges. J’ai hâte de pouvoir en dire plus. »
Gouffre de Padirac
« Passionné de géologie et de biologie, ma vie à Paris me laissait peu d’opportunités pour explorer des paysages autres qu’urbains. C’est pour ça que ma famille m’emmenait souvent en excursions pendant nos vacances dans les forêts, les grottes et les jardins botaniques. Ces visites sont gravées dans ma mémoire, et je ne manque jamais de visiter des jardins et de nouvelles grottes aux alentours lorsque je suis en déplacement. Mais le gouffre de Padirac est le paysage que je préfère. Quand j’étais plus jeune, ma famille et moi partions presque tous les étés dans une maison proche du gouffre, et on y allait souvent à ma demande. J’aimais énormément me retrouver sous terre, à observer chaque détail dans cet espace hors du temps à l’architecture incroyable. J’ai toujours trouvé que la formation de ces roches était vraiment magnifique, et c’est sûrement là où j’ai développé une obsession pour les formes et les motifs que la nature façonne.
C’est cet émerveillement qui s’est transformé en une grande collection de minéraux et de plantes que je cultive depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, ma collection a pris une tournure numérique : comme un chasseur-cueilleur, je capture des images, scans 3D et enregistrements sonores afin de créer des paysages inédits. D’ailleurs, on retrouve certains fragments du gouffre de Padirac dans mes jeux vidéo et dans certaines de mes sculptures en impressions 3D. »
Jinen – Yu Yamauchi
« Je me nourris énormément de documentaires sur la nature et le monde animal, ça peut aller des expériences au microscope aux explorations qui ouvrent des fenêtres sur des paysages et des biomes inaccessibles. Lorsque je travaille, j’aime les écouter en bruit de fond. Mais ce dont je raffole le plus, ce sont les livres de photographie. Mon entourage le sait, et c’est pour ça que l’on m’a offert JINEN de Yu Yamauchi. J’adore la photographie documentaire, mais ce que j’aime le plus, c’est quand les photographes jouent avec la réalité, révélant des détails cachés, nous montrant ce que l’on n’avait pas pu voir auparavant. Le contexte de cette série est simple, dans le sens où Yamauchi prenait en photo la forêt de Yakushima au sud du Japon lorsqu’il y passait de temps en temps.
Fasciné par sa beauté à l’analyse de motifs et de structures, il écrit que ces détails semblent provenir d’un autre monde. Cette promenade en solitaire est un retour aux sources qu’il s’accorde dans ces moments d’introspection. C’est ce genre de promenade que je fais régulièrement pour alimenter ma banque de scans 3D et de photographies lorsque je suis à la recherche d’inspirations. »
Les ordres de la nuit – Anselm Kiefer
« Il s’agit là d’un de mes artistes préférés. Je ne rate jamais aucune de ses expositions. Je suis vraiment pris par la façon dont cet artiste représente l’empreinte humaine dans des déserts silencieux et abandonnés. Il montre subtilement les traces laissées par les hommes tout en nous faisant réfléchir sur notre individualité, nos croyances et nos violences. Dans cette série, il y a un homme étendu sur le sol, et on ne sait pas s’il est mort ou juste en train d’attendre. Autour de lui, parfois, il y a juste le vide et les étoiles, d’autres fois des fleurs poussent sur son ventre. Cette série m’attire particulièrement parce qu’elle parle d’existence et de temps de manière à la fois simple et très juste. Je ne suis généralement pas un grand fan de minimalisme ou de peinture, mais il y a quelque chose dans cette série qui m’accroche, même si c’est difficile à expliquer. La série Les ordres de la nuit est une référence majeure dans le développement de mon nouveau projet de réalité virtuelle, Le grand silence, que je présenterai en fin d’année lors de mon premier solo show, curaté par Emma Brisot.
Cette expérience VR place le spectateur/joueur au sein de paysages naturels changeants, qui apparaissent et disparaissent comme des décors de théâtre, face à un spectateur impuissant et immobile. Il n’a d’autre choix que d’observer, presque indifférent, à méditer sur des thèmes universels tels que l’existence, la perte et la persévérance face à l’avancée inexorable du temps et de ses impacts. Ces images de corps perdus au milieu de la nature, fusionnant avec elle, m’ont aussi inspiré une série de sculptures en impressions 3D. Cette collection combine des scans et des sculptures virtuelles que j’exposerais en même temps que l’expérience en réalité virtuelle. »