Wiiki, marche ou rêve

Wiiki, marche ou rêve
“Beautiful Disaster” ©Wiiki

Confrontée à un milieu publicitaire rigide, Wiiki, artiste vietnamienne en images générées par ordinateur, a fait de son imagination sa force. Désormais à la tête de sa propre agence artistique, celle-ci entend transformer les environnements 3D en des espaces créatifs où l’onirisme a toute sa place.

« Lorsque j’ai commencé, mon travail était souvent considéré comme trop peu conventionnel pour des projets commerciaux, mais pas assez artistique pour être représenté dans des galeries ». D’emblée, le propos de Vicki Dang, alias Wiiki, se veut clair, direct. Il faut quoiqu’il arrive une certaine détermination pour refuser le destin tout tracé qui semble se présenter à soi après avoir obtenu un diplôme en mode (2015), et se tourner vers la 3D. Le déclic ? Possiblement le travail d’une artiste telle que Kim Laughton, qui l’inspire, notamment pour « sa capacité à utiliser des objets du quotidien afin de créer des œuvres d’art mêlant un sentiment de nostalgie et de futurisme ». Wiiki poursuit alors dans la création visuelle et s’essaye à des projets personnels et publicitaires, un milieu qu’elle juge malgré tout trop figé, trop habitué à ranger les gens dans des cases bien définies.

Coincée entre l’approche artistique du métier et le côté corporate, la Vietnamienne décide d’agir. Pour cela, elle s’entoure d’artistes rencontrant les mêmes difficultés et cofonde sa propre agence créative, Fromanother : « Puisque personne ne voulait tenter sa chance avec nous, nous avons tenté notre chance avec nous-mêmes », explique-t-elle, le ton fier : celui d’une jeune femme déterminée à innover au sein de l’art numérique, sans être limitée par les normes qui régissent les milieux artistiques et commerciaux.

©Fromanother x The Moment Factory

Symbolisme et touche personnelle

Lorsqu’elle travaille sur un projet numérique – films personnels en 3D, ou commandes extérieures – Wiiki procède à sa manière : l’objectif est de construire un dialogue entre l’œuvre et son spectateur. Tout démarre par l’interprétation des choses qui l’entourent. « J’explore le symbolisme qui englobe mon sujet ou mon objet, que ce soit un avion en papier, une bouteille de soju ou le regard fugace d’un étranger dans la rue », confesse-t-elle. Les outils 3D lui permettent alors de transformer ces symboles du quotidien en quelque chose de personnel. « Nous évoluons constamment et nous négligeons souvent des choses aussi simples que la beauté d’un papillon ou la moitié d’un verre dans un bar vide, avance-t-elle. Dans mes œuvres, je cherche à capturer à la fois la fantaisie et la solitude de la vie. »

Wiiki
« Puisque personne ne voulait tenter sa chance avec nous, nous avons tenté notre chance avec nous-mêmes. »

Ce mélange de fantaisie et d’isolement, on le ressent notamment dans son travail Beautiful Disaster qui évoque les confinements à répétition et se reçoit comme un appel à la liberté. Un tel projet est également pour elle l’occasion d’aborder des sujets liés à la féminité, aux paysages saisis dans ses rêves, ainsi qu’à la culture pop, qu’elle parvient systématiquement à relier à ses émotions, celles qui se manifestent au fur et à mesure du processus créatif et qui l’aident à rester ancrée dans le présent, à absorber pleinement tout ce que ce moment lui offre. « Je canalise ensuite les images et les sentiments complexes issus de ces expériences dans mes prochains projets », indique-t-elle. Preuve que Wiiki a toujours une idée derrière la tête.

Let’s get groovy © Wiiki

Le rêve pour se libérer des carcans

Cette approche onirique, de la vie comme de l’art, est aussi sa manière d’explorer les connexions humaines, d’amener à réfléchir à l’environnement qui nous entoure. Pour cela, Wiiki recherche volontiers un sentiment d’émerveillement, d’introspection et d’exploration, notamment via l’utilisation de formes humaines, à travers lesquelles elle narre des histoires centrées sur le lien, que ce soit avec la nature, avec les autres ou avec soi-même. « En fusionnant des paysages de rêve avec des influences de la culture pop, je tisse des références familières de la vie moderne, reflétant des valeurs sociétales ou des expériences partagées, soutient Wiiki, comme pour appuyer l’idée d’un voyage permanent entre l’intime et l’universel. Cela implique que les rêves ne soient pas seulement une évasion passive, mais un catalyseur actif qui modifie les perspectives, suscite des idées et apporte du dynamisme à la réalité ».

Wiiki cite alors en exemple Bye Bye Mermaid, une courte vidéo où un SUV erre au fond de l’eau, peu à peu réhabilité par une femme-poisson. Une grande partie de son univers est en effet synthétisée ici, dans cette atmosphère hors du temps, dans ce travail sur les couleurs, dans ce montage, ouvertement contemplatif.

Bye Bye mermaid © Wiiki

Penser le futur

Il faut toutefois souligner à quel point la Vietnamienne fuit une esthétique trop rapidement identifiable. C’est même sans doute pour cette raison qu’elle opère à intervalles réguliers pour des marques de luxe, qu’elle s’est rapprochée de proches collaborateurs pour fonder son agence, et qu’elle participe depuis peu à la création d’installations immersives. La dernière, c’était dans le cadre de l’exposition Oriens lumina de Moment Factory à Shanghai, en 2022. Le collectif montréalais y explorait la mythologie chinoise le temps d’une balade sensorielle nocturne où nature, culture et technologie ne faisaient qu’un.

Pour Wiiki, l’occasion était trop belle. C’était là l’occasion de traduire la vision imaginée pour son agence en quelque chose de tangible, en même temps qu’une opportunité de mettre son savoir-faire technique (motion design, 3D, installations lumineuses, production sur site) au service de projets ambitieux, bien plus grands qu’elle n’aurait pu l’imaginer. C’était aussi une manière d’être enfin certaine que s’impliquer dans des projets publicitaires n’empêche pas de se faire une place dans l’art. Si bien que Wiiki est désormais persuadée d’au moins une chose : expérimenter et innover, c’est en quelque sorte dessiner le monde de demain.

À lire aussi
Sabrina Ratté : "via la 3D et les IA, un nouveau monde s’est ouvert à moi"
“Inflorescences” ©Sabrina Ratté
Sabrina Ratté : « via la 3D et les IA, un nouveau monde s’est ouvert à moi »
Durant l’été, de mi-juillet à fin septembre, Fisheye Immersive part à la rencontre de huit artistes numériques venus du monde entier…
12 septembre 2023   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Émilie Brout & Maxime Marion, ou le rêve d’une mythologie alternative
“IDLE” ©Émilie Brout & Maxime Marion
Émilie Brout & Maxime Marion, ou le rêve d’une mythologie alternative
En cette rentrée, le duo parisien a visiblement décidé d’occuper l’espace artistique : exposés lors de la dernière édition de Scopitone…
12 octobre 2023   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Art numérique : de la nécessité de travailler à plusieurs
©Sam & Andy Rolfes
Art numérique : de la nécessité de travailler à plusieurs
Loin de l’image du sculpteur ou du peintre façonnant son œuvre seul dans son atelier, la création numérique implique bien souvent un…
07 août 2024   •  
Écrit par Benoit Gaboriaud
Explorez
Dada Projects, les femmes au contrôle 
Dada Projects, les femmes au contrôle 
Dirigé, fondé et porté par des femmes, le studio de design 3D Dada Projects prouve que dans les domaines créatifs comme ailleurs, il n’y...
01 avril 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
"Tokyo Dragon Sight" de Valentin Dommanget : une mémoire visuelle poétique
« Tokyo Dragon Sight » de Valentin Dommanget : une mémoire visuelle poétique
À travers “Tokyo Dragon Sight”, Valentin Dommanget livre une œuvre hybride, à la croisée des chemins entre photographie...
27 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
En studio avec Andrea Albrizio : "Le vêtement digital ne supplantera jamais le physique"
Portrait d'Andrea Albrizio
En studio avec Andrea Albrizio : « Le vêtement digital ne supplantera jamais le physique »
À 22 ans, Andrea Albrizio est ce que l'on peut appeler un prodige. Diplômé de l'Institut Français de la Mode, le Français ne cesse...
25 mars 2025   •  
Écrit par Benoit Gaboriaud
Tim Berresheim - Scanner le monde et sa mémoire
Tim Berresheim – Scanner le monde et sa mémoire
Figure incontournable de l’art informatique, Tim Berresheim revisite l’histoire de l’art et réinvente le monde qui l’entoure, notamment...
04 mars 2025   •  
Écrit par Benoit Gaboriaud
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dada Projects, les femmes au contrôle 
Dada Projects, les femmes au contrôle 
Dirigé, fondé et porté par des femmes, le studio de design 3D Dada Projects prouve que dans les domaines créatifs comme ailleurs, il n’y...
01 avril 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Art numérique : quelles sont les 10 expositions à voir en avril 2025 ?
“PinkUnidentified DAY/049” ©Simon Lavi
Art numérique : quelles sont les 10 expositions à voir en avril 2025 ?
Le mois d'avril vient à peine de débuter et, déjà, annonce-t-il une flopée d'expositions d'art numérique. Histoire de ne rien louper...
01 avril 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Vu à Art Basel Hong Kong : « Human Unreadable » d'Operator
“Human Unreadable”, ©Operator
Vu à Art Basel Hong Kong : « Human Unreadable » d’Operator
Présentée dans le cadre du programme officiel "Conversations" d'Art Basel Hong Kong, la performance-conférence "Human Unreadable" associe...
31 mars 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
"Pléonexie" : dans les coulisses de la dernière œuvre de Collectif Coin
“Pléonexie“, Collectif Coin, Biennale Experimenta, 2025 ©Quentin Chevrier
« Pléonexie » : dans les coulisses de la dernière œuvre de Collectif Coin
Début février, lors de la Biennale Experimenta, à Grenoble, le Collectif Coin présentait sa dernière installation, l'imposante et...
31 mars 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt