Alors que les galeries et les musées multiplient les expositions consacrées aux nouvelles technologies, doit-on réellement s’attendre à des espaces tout numériques ? Au sein des salles, les médiateurs vont-ils disparaître ? Pour le savoir, nous nous sommes rendus au Centre Pompidou-Metz, où l’exposition immersive Wordbuilding bat son plein.
La question de la médiation numérique ne date évidemment pas d’aujourd’hui. Soyons néanmoins certains qu’elle s’est particulièrement renforcée au moment de la crise du Covid-19. Rappelez-vous : en 2020, les musées, totalement fermés au public, tentaient d’exister en offrant de nouvelles formes de visites, et donc de médiations, via le numérique.
En premier lieu, il y a eu ces visites guidées filmées en direct par des médiateurs, censées favoriser l’interaction entre ce dernier et le public. Puis, au fil des mois, certaines institutions refusant d’abdiquer malgré leur fermeture prolongée ont tout simplement opté pour une médiation indirecte totalement numérique ; une tendance qui pourrait perdurer et se développer avec l’arrivée de l’intelligence artificielle.
Pourtant, selon Elsa De Smet, responsable du pôle des publics au Centre Pompidou-Metz, le pas vers le tout numérique est loin d’être franchi, et encore moins dans le cadre d’expositions dédiées aux nouvelles technologies telles que Worldbuilding : « Je suis convaincue que, dans ce type d’exposition, la médiation directe et orale a une place primordiale. Cela pour au moins deux raisons essentielles. La première : les œuvres qui y sont présentées interrogent la place de l’humain dans la société contemporaine ; il serait donc absurde de l’en retirer. La seconde : nous avons voulu éviter une surenchère de la fascination pour la technologie. D’un côté, il fallait un propos artistique et esthétique relativement clair sur le numérique ; de l’autre, un accompagnement des visiteurs par des professionnels, afin de mettre en avant le propos de l’exposition et d’éviter les confusions ».
À l’incompréhension, préférons la médiation
La présence de professionnels formés à l’histoire de l’art ou aux innovations technologiques se révèle en effet essentiel dans le cadre d’un évènement comme Worldbuilding, qui se présente comme la première exposition transgénérationnelle et internationale de cette envergure à étudier la façon dont les artistes contemporains s’approprient l’esthétique et la technologie des jeux vidéo tant que forme d’expression. Par conséquent, le parcours contient deux niveaux de lecture : un premier, ludique ; un second, plus intellectuel.
Dans les deux cas, le médiateur a son importance : « Dans ce genre d’exposition, il est impossible de proposer une médiation verticale, précise Elsa De Smet. Les médiateurs doivent s’adapter à chacun et à chacune des œuvres qui proposent diverses possibilités aux visiteurs. Ils ne peuvent alors pas présenter un seul discours, un seul récit ou un storytelling unique. Ici, le rôle des médiateurs, particulièrement pertinent, est d’inciter et d’accompagner les gens à bien utiliser les outils : les jeux vidéo, les casques VR, les joysticks, etc, et à leur expliquer comment fonctionnent les jeux, ce qui n’a pas lieu d’être pour une exposition de sculpture ou de peinture. Par la suite, ils détaillent le contenu des œuvres, afin que les visiteurs basculent de la fascination technologique ou de l’amusement pur vers l’aspect intellectuel et esthétique de l’exposition, en fonction de l’expérience de chacun ».
Contrairement aux accrochages classiques, Worldbuilding encourage donc le visiteur à manipuler les œuvres. Certains le font de manière intuitive, d’autres, n’ayant pas l’habitude des nouvelles technologies, n’osent tout simplement pas. Pourtant, l’exposition a été spécialement conçue en ce sens, dans l’idée que les visiteurs puissent s’immerger totalement dans les œuvres et en saisir le propos. Ce qui n’est pas toujours le cas : à en croire Elsa De Smet, les visiteurs, plutôt de jeunes adultes ou des adolescents accompagnés de leurs parents, n’osent pas toujours solliciter spontanément les médiateurs. Ou du moins, pas autant qu’ils le devraient. Preuve que des améliorations doivent encore être apportées, qu’il est nécessaire de faire un pas supplémentaire vers le public, qu’il y a encore des idées à développer afin de le familiariser avec cette nouvelle approche.
L’inévitable évolution
La direction du musée a bien conscience des enjeux en cours. C’est pourquoi Elsa De Smet a souhaité a augmenté l’effectif des médiateurs pour cette exposition. En plus des professionnels, elle a également donné la possibilité à des étudiants en école d’art, d’informatique ou de médiation culturelle de se l’approprier, d’en faire un cas d’étude de terrain afin de nourrir leurs réflexions et leurs recherches sur ce type d’exposition numérique, vouée à se multiplier.
Quant au rôle des médiateurs, il se révèle d’autant plus essentiel qu’il permet de poser certaines limites auprès de certains spectateurs, ceux qui pourraient avoir tendance à ne voir en Worldbuilding qu’une immense salle de jeu. Or, un musée n’est pas un parc d’attraction ; au-delà de l’aspect ludique, les artistes souhaitent surtout échanger à travers leur art, nouer des liens, entamer un dialogue inédit avec le public. Bonne nouvelle : grâce à Worldbuiling, Elsa De Smet a pu constater que les plus téméraires, souvent les enfants, ont cette faculté à inciter leurs accompagnateurs à tester les œuvres, notamment celles qui requiert un casque VR, enferment dans une expérience solitaire et impliquent dès lors qu’une inter-médiation se mette en place au sein du public, aussi diversifié soit-il. « A ce niveau-là, c’est relativement nouveau, se félicite-t-elle. C’est un plus, une évolution, il faudra s’adapter ».