Bones & Clouds, à la recherche du corps collectif

Bones & Clouds, à la recherche du corps collectif
“À quoi rêvent les ondes ?”, Galerie Da-End ©Bones & Clouds

Réunit au sein de la Galerie Da-End, à Paris, où se tient actuellement l’exposition À quoi rêvent les ondes ?, le trio Bones & Clouds exprime son rapport au corps, à la spiritualité et à l’IA. Avec, en filigrane, cette certitude : « C’est lorsque des états superposés de conscience sont possibles que le réel devient plus complexe et intéressant ».

La discussion a à peine commencée que Kim KototamaLune (sculptrice et souffleuse de verre) et les vidéastes Jean-Benoist Sallé et Stéphane Baz nous parlent de cohérence cardiaque, d’exercices de respiration permettant de rééquilibrer son système nerveux, de notre incapacité à nous voir dans notre propre corps physiologique, ou encore de ces cellules qui voyagent et se transforment continuellement. Très vite, Kim cite également l’ouvrage Métavers – Et s’il avait toujours existé ?, où le cinéaste Jan Kounen et le chercheur Romuald Leterrier cosignent une réflexion censée favoriser l’harmonie entre les sciences, les technologies et les spiritualités.

C’est sans doute un cliché, un résumé un peu facile de leur approche artistique, mais l’on avoue imaginer illico le trio en rats de bibliothèques scientifiques un peu fous, à la recherche de livres encourageant une (re)connexion spirituelle avec nous-mêmes. Après plus d’une heure de discussion, on peut toutefois l’affirmer : Jean-Benoist, Kim et Stéphane sont tout simplement des artistes curieux de tout, soucieux de faire « ressentir les choses collectivement », d’instaurer « cette prise de conscience autour de la respiration et de ses différents rythmes », persuadés de questionner via leurs travaux notre rapport au corps dans un monde qui se dématérialise.

À quoi rêvent les ondes ?, Galerie Da-End ©Bones & Clouds

Réflexions sur l’IA

Le trio témoigne d’une telle soif de connaissance, d’une telle curiosité, d’une telle envie de comprendre ce qui se joue actuellement qu’il n’hésite pas à inverser le processus de l’interview, chacun coupant court à ses réponses pour poser différentes questions. La plupart visent à cerner davantage l’une des grandes obsessions de l’époque : l’intelligence artificielle, cet outil nous faisant prendre conscience de nos propres automatismes, ces débats interminables qui prônent une dichotomie entre l’humain et la machine. Très au fait, Kim regrette toutefois la tendance du cerveau humain à proposer naturellement une vision catastrophique de notre avenir. « Les artistes ont indéniablement une responsabilité à travers les images qu’ils créent, affirme-t-elle. Je ne prétends pas qu’il faut se montrer à tout prix optimistes, ce qui serait naïf et tout aussi dangereux, mais il faut se demander quel impact telle ou telle vision peut avoir sur le collectif. Au fond, l’IA n’est-elle pas aussi catastrophique et menaçante qu’un être humain qui ne réfléchit pas ? C’est un miroir, le reflet de l’Homme et de notre société. Elle est profondément ambivalente, et c’est précisément ce que l’on n’accepte pas. »

À quoi rêvent les ondes ?, Galerie Da-End ©Bones & Clouds

L’usage du corps

Cela fait plus de vingt ans que Jean-Benoist et Kim s’intéressent à ces questions, qui se matérialisent et se traduisent différemment depuis la création de Bones & Clouds il y a trois ans, peu de temps après avoir rencontré Stéphane, tout aussi intrigué par le rapport au corps, à la chair, au vivant. « On a réussi à créer un collectif où chacun a son identité, sa pratique, précise Jean-Benoist. Ce n’est pas toujours évident de les faire dialoguer entre elles, mais il y a systématiquement ce désir commun d’apporter un supplément d’âme. » Très vite, des expositions permettent de structurer les idées, de concrétiser certains projets : il y a d’abord eu une résidence au MusVerre, l’exposition 3.5 au musée de Soissons, puis une participation à l’exposition collective Cerveau Machine du Cube Garges. « Clément Thibault, le directeur des arts visuels et numériques du lieu, a été un vrai déclencheur, une belle rencontre, humaine et artistique, explique Kim, l’admiration dans la voix. Sa vision de l’être humain et de la société a résonné avec la nôtre et nous a amené vers cette vision sociétale que l’on n’avait pas auparavant. »

Contacté par mail, Clément Thibault se veut tout aussi dithyrambique au sujet de Bones & Clouds : « Ce qui est fascinant avec le collectif, c’est que la grande maîtrise technique de ses membres, au filage du verre, à la vidéo, en installation, est subtilement mise en filigrane, au service de la perception et du propos. Avec une telle virtuosité au travail du verre, ce serait rapide de se contenter de petites formes précieuses à vendre sur le marché.  Mais là, c’est majestueux ; il y a une ambition démesurée chez les Bones & Clouds à produire des formes qui dépassent, à créer de nouvelles réalités dans leurs expositions. Cela donne des œuvres qui, formellement, sont fascinantes – et presque unanimement appréciées, ce qui est une gageure dans les arts contemporains -, le tout porté par un discours complexe, fourmillant, aux relations inattendues mais cohérentes. C’est immersif, dans le bon sens du terme, ça met dans un état de transe contemplative, un truc doux mais puissant ! »

Nymphea et R.Y.Z.O.H.M, verre, cartes graphiques, matière organique, vidéo, Galerie Da-End ©Bones & Clouds

Prendre acte de sa finitude

Une transe contemplative, voilà ce qu’est précisément À quoi rêvent les ondes ?, une exposition où les Bones & Clouds transforment la Galerie Da-End, à Paris, en un environnement immersif, hors du temps, dans l’idée de remettre le cerveau dans un état modifié de conscience afin d’emmagasiner autrement les informations. « Chez certains spectateurs, cela provoque une forme d’inquiétude, de stress ou d’angoisse, note Stéphane. C’est vrai que l’on n’est pas dans l’univers des bisounours, notamment avec cette pièce où l’on plonge à l’intérieur de notre corps, où l’on se sent inconfortable, comme confronté à notre propre finitude. » Jean-Benoist acquiesce, et poursuit : « Au sein d’une société où l’on souhaite prolonger la vie sans réellement savoir pourquoi, il y a comme une volonté chez nous, comme dans tant d’autres traditions, d’apprendre à mourir. »

Chez Bones & Clouds, il y a aussi cette envie de réconcilier les arts traditionnels avec d’autres médiums (le son,  l’art génératif, la prise de vue réelle), cette volonté de créer une analogie entre la fragilité du verre et du virtuel, ce dialogue perceptible jusque dans son nom entre le ciel et la Terre, la puissance et la légèreté, l’élévation et l’enracinement, cette certitude que les réflexions et les échanges s’enrichissent et s’intensifient dès lors que l’on tend vers l’inclusivité. Pour preuve, le trio s’apprête à partir trois mois au Brésil, le temps d’une résidence artistique au cours de laquelle Kim, Jean-Benoist et Stéphane comptent bien se laisser traverser par d’autres traditions, d’autres rites spirituels. « Comment notre regard d’occidentaux va être impacté par toutes ces découvertes, c’est la grande question que l’on se pose ». On a hâte d’en découvrir les réponses.

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