On le connaissait pour son travail au sein du duo d’artistes Gourau Phong qui avait signé la facétieuse œuvre en réalité augmentée, Can Dogs Save The World ? au Palais Augmenté 2, en 2022. En solitaire, l’artiste plasticien, François Bellabas tisse une œuvre complexe et interconnectée dans laquelle l’image photographique devient, grâce au numérique et à l’IA, une matière plastique et sensible.
Enfant, François Bellabas aimait déambuler dans la ville sur son skate. C’est d’ailleurs ainsi que démarre son amour pour la photographie et la vidéo, dans cette exploration erratique, répétée mais singulière, qui constitue le cœur de sa pratique artistique. De la même manière qu’il skatait pour découvrir une ville, l’artiste parcourt les images : il les extrait, les traite, les décompose et interroge en continu leur potentielle évolution.
Soulever le capot
Cette quête débute donc via la photographie, qu’il étudie à Arles, à l’École supérieure de la photographie, avant de comprendre, un peu plus tard, qu’il est moins fasciné par le médium que par ce qu’il produit. « Une fois aux Beaux-Arts (en Lorraine, ndlr), je me rends vite compte que ce qui m’intéresse, c’est vraiment l’image, qu’elle soit captée via la vidéo, la photo ou avec un ordinateur ». Une fois diplômé, François Bellabas est amené à faire de la retouche : « On ne peut pas vraiment passer derrière une image (déjà prise, ndlr). Tu peux rajouter une couche, de la vidéo, de la 3D. J’avais envie de déconstruire l’image », de soulever son capot. La métaphore n’a rien d’anodine : avant de poursuivre une carrière artistique, François Bellabas a également étudié l’automobile en tant que mécanicien. Résultat, l’intéressé avoue aujourd’hui encore compter L’éloge du carburateur de Matthew B. Crawford parmi ses livres de chevet.
En 2016, François Bellabas se lance dans Motorstudies, « une base de données photographique, vidéo, de scans 3D, nourrie de [mes] déplacements dans la ville de Los Angeles ». Ce projet, dit-il, « raconte comment le territoire californien est formé par la machine, comme le moteur à explosion de la voiture ». C’est un peu « un rhizome », confie l’artiste. Et effectivement, cette base infuse depuis lors tout un ensemble d’œuvres numériques, interactives, et finalement évolutives. « Beaucoup de ces œuvres avancent en même temps, elles sont interconnectées ».
« Une photographie, c’est un portail vers une série de possibilités. »
MOTORSTUDIES_TIRERIBBON relève de cette démarche : « Depuis les photographies de ma base de données, je développe un module procédural en 3D qui me permet de dessiner et de générer numériquement de nouvelles routes à l’infini ». Ces images, patiemment collectées, lui permettent de sculpter numériquement des routes, de les détourner, voire même de les retourner comme une matière plastique. « Ce qui m’intéresse est de travailler l’image comme une donnée, une matière sensible. Pour moi, une photographie, c’est un portail vers une série de possibilités ».
Dans un autre projet (ESCAPE FROM L.A.), qui fait également partie de l’exposition consacrée à son travail – Blank Memory, au Centre photographique d’île de France (CPIF) à partir du 28 avril 2024 -, François Bellabas déploie ces sculptures virtuelles dans un moteur de jeu vidéo. L’œuvre est continue, quasi itinérante. Quant au visiteur, il évolue dans un monde virtuel, tout en roches et surmonté d’autoroutes aux boucles infinies, qui évoluent à chaque reboot de la machine.
À chacun son algo
À l’image du jeune François sur son skate, chaque projet de ce dernier est pensé dans l’idée de favoriser la déambulation, de permettre à quiconque de « se balader dans un paysage ». Cet univers de vallée rocheuse s’expérimente aussi dans l’enveloppe d’un avatar créé à l’effigie de l’artiste – « mon alter ego virtuel », révèle-t-il. Là encore, l’alter ego émane d’un autre projet initié par François Bellabas, Synthetic Roots, composé d’images synthétiques, certes issues de ses souvenirs, mais toutes générées par un modèle de diffusion text-to-image.
« Le territoire californien est un peu un paysage qui change en permanence, en mouvement intense, sur la brèche. À tout moment, il peut s’écrouler. »
Ses images – matière numérique, plastique et sensible – dialoguent à nouveau avec l’intelligence artificielle dans An Electronic Legacy, qui sera présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles 2024. Depuis 2018, le trentenaire a entraîné un GAN de 5 000 prises de vues, issues de sa base de données « MOTORSTUDIES » et symbolisées par la récurrence d’un même motif : le feu.
« Le territoire californien est un peu un paysage qui change en permanence, en mouvement intense, sur la brèche. À tout moment, il peut s’écrouler ». Avec l’arrivée des outils d’IA générative, ces paysages déjà apocalyptiques, léchés par les flammes, prennent une dimension encore plus immersive. Au CPIF, lors de Blank Memory, l’artiste entend ainsi composer une nouvelle base de données vouée à nourrir, qui sait, de futurs travaux. C’est du moins l’intention de l’installation Protomaton : inviter les visiteurs à se filmer et à proposer une réinterprétation de leur apparence grâce à un prompt spécialement conçu pour François Bellabas. Un artiste « si ancré dans l’image et l’expérience » qu’il trouve peut-être aujourd’hui, via le texte, un nouveau champ d’exploration d’artistique.
- Blank Memory, François Bellabas, du 28 avril au 21 juillet 2024, Centre photographique d’Ile-de-France.
- An Electronic Legacy, du 1er juillet au 29 septembre 2024, aux Rencontres photographiques d’Arles.