En récompensant Nil Yalter d’un Lion d’Or, la Biennale de Venise n’a pas simplement salué le travail d’une des pionnières de l’art vidéo féministe ; elle a également mis en lumière l’œuvre d’une artiste toujours prête à questionner les identités dites minoritaires. À l’occasion de l’exposition collective Exils – Regards d’artistes, présentée au Louvre-Lens jusqu’au 20 janvier, retour sur la carrière de l’artiste franco-turque, aussi prolifique que politique.
1974 – La Femme sans tête ou la Danse du ventre
En 1974, Nil Yalter, alors peintre et plasticienne, change de cap et réalise sa première performance vidéo : La Femme sans tête ou la Danse du ventre. Dans cette oeuvre filmée en noir et blanc, étirée sur 24 minutes, l’artiste inscrit sur son ventre un extrait d’Érotique et civilisation, ce livre au sein duquel René Nelly fait l’éloge de l’organe sexuelle féminin, tout en dansant au rythme des percussions d’une musique traditionnelle orientale. Une manière pour Nil Yalter de s’inscrire dans les combats féministes des années 1970, voués à constituer le véritable fil rouge de sa carrière.
1975 – Exile Is a Hard Job
Exile is a Hard Job est un projet permanent que Nil Yalter a entamé en 1975, au sein duquel elle imagine une série d’affiches éphémères mettant en scène des migrants, dont le sort et l’ostracisation la préoccupent au plus haut point. Pour ce projet, l’artiste franco-turque s’inspire une nouvelle fois du travail d’un écrivain, le poète Nâzım Hikmet, lui-même exilé en Russie. C’est pourtant à son histoire personnelle que Exile is a Hard Job fait écho : rappelons, en effet, que Nil Yalter est née en Égypte, avant d’être élevée en Turquie et de s’exiler en France.
1982 – Les Métiers de la mer
Dans les années 1980, le combat se poursuit pour Nil Yalter qui continue de travailler sur des sujets liés aux mouvements de migrations, en s’intéressant cette fois au sort des personnes en situation d’exil, souvent injustement réduites à leur position quasi-systématique de subalterne. En 1982, elle réalise ainsi l’installation multimédia Les Métiers de la mer, se rapproche pour cela de l’artiste vidéo Nicole Croiset, et commence à dévoiler un nouvel engagement politique qui lui tient à coeur : le communisme.
2003 – Histoire de peau
Dans Histoire de peau, l’artiste s’intéresse aux effets physiques du temps qui passe. Elle y filme sa peau vieillissante, la numérise et s’amuse à zoomer sur les marques et cicatrices qui témoignent de son histoire personnelle. L’oeuvre, interactive, invite les visiteurs à se saisir d’une série et à cliquer sur l’une des trois formes apparaissant à l’activation de l’œuvre. Il y a d’abord le triangle, qui évoque la femme dans certaines sociétés traditionnelles, mais est avant pensé ici comme un symbole de la lutte contre les répressions subies par les communautés gays durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a ensuite le rond, qui fait écho à la fertilité et symbolise la progression. Enfin, il y la croix, qui renvoie non seulement à la religion, mais incarne également l’idée d’un corps contraint, oppressé et, plus largement, torturé.
2008 – Sounds Of Painting
Petit saut dans le temps avec Sounds Of Painting, une pièce vidéo réalisée en 2008. Dans ce projet, Nil Yalter expérimente le son électronique au sein d’une performance rituelle, fermée au public et hermétique, en enregistrant et épaississant le son de l’acte de peinture tout en peignant sur le sol. Ce n’est que dans un second temps que Sounds Of Painting rencontre le public, après un long moment de mise en place. La parole se joint alors au son et à la musique, qui deviennent des moyens de revendiquer l’espace, voire même de transformer une galerie en un lieu de régénérescence.