Quelques mois après son premier solo show à la Galerie du Crous, à Paris, Lou Fauroux ne cesse de développer des œuvres qui encouragent les croisements entre technologies numériques (3D, IA), jeux vidéo, hacking et musiques électroniques. Pas un hasard, donc, si la Parisienne, 25 ans, nous a ouvert les portes de son studio quelques jours après être revenue du Mutek, le mythique festival de Montréal.
Recommencer chaque nouveau projet à zéro, résumer tout ce que l’on rêve de créer pour avoir l’impression d’avancer. Il suffit de passer quelques minutes dans son studio pour comprendre que Lou Fauroux est à classer dans la catégorie des artistes qui débordent d’idées, jamais réellement satisfaites, perpétuellement à l’affut d’un nouveau projet à développer. « Je peux passer du tout au tout en une seule journée, de la sculpture à la création de photo via une IA, du travail sur une image à un projet vidéo ».
Animée par la rapidité du geste, celle qui se dit prête à accepter l’erreur se donne en tout cas les moyens de réaliser toutes ces envies dans ce studio situé à Pantin, dans une école aujourd’hui abandonnée, au sein d’une pièce qui a tout l’air d’être une ancienne salle de chimie ou de SVT avec cette longue table aux carreaux blancs, placée à l’entrée et équipée d’un lavabo. « C’est un peu bordélique, pas très bien isolé, mais ça me permet de faire tout ce que je veux depuis deux ans. Et puis j’aime l’idée de partager le bâtiment avec une cinquantaine d’artistes ou médias, comme Manifesto XXI. »
Au service de l’image
Indéniablement, Lou Fauroux est une artiste de son temps, évoluant entre les esthétiques figées avec, à disposition, un savoir-faire infini à portée de clic. Il faut dire que la jeune femme, née en 1998, a été bercée par tant d’images, de vidéos et de musiques que la simple idée de mettre de l’ordre dans cet amas de connaissances reviendrait à trahir son processus créatif, spontané, libre et relativement solitaire. À cette curiosité d’esprit s’allie en effet une méthode acquise aux Arts Décoratifs de Paris, consistant à maîtriser seule toutes les étapes de fabrication de son travail. « Le problème, c’est que l’on n’enseigne pas la technique et la technologie aux Arts Décos. J’ai dû apprendre cela par moi-même via des logiciels relativement accessibles, comme Photoshop, Final Cut Pro, After Effects, Blender ou DaVinci Resolve. Puis, à Los Angeles, où je me suis rendue il y a six ans pour réaliser des films pornos, j’ai eu l’occasion de rencontrer des transhumanistes et des sorcières, des personnes qui m’ont ouvert la voie vers un questionnement spirituel. J’aime la dimension religieuse de la technologie, ce qu’elle permet d’améliorer ou non chez les humains. À partir de ce moment-là, je me suis nettement plus investie dans le numérique. »
Tout, chez Lou Farroux, semble être une histoire rencontre. Il y a celle avec Mélanie Courtinat et Salomé Chatriot, qu’elle côtoie depuis plus de deux ans et avec qui elle partage la même envie d’explorer la « queerness » à travers le numérique. Il y a surtout celle avec Jennifer Cardini, cette productrice/DJ bien connue des circuits électroniques dont elle est aujourd’hui la compagne, en plus d’être la partenaire à la tête de Færies Records, un label indépendant où se croisent un grand nombre de musiciennes passées par les Beaux-Arts. En octobre, par exemple, la structure a notamment publié la compilation [buffering] Vol.1 Cécile, qui a non seulement été pensée comme un hommage à la sœur de Lou Fauroux, décédée cette année, mais également comme une œuvre caritative (une partie des profits est reversée à l’association la Maison de l’Autisme de Mulhouse), foncièrement hybride et magnifiquement soutenue par les vidéos 3D de Mélanie Courtinat.
Le 15 décembre, Færies Records publie également Altær de Talita Otović, un EP pour lequel Lou Fauroux a créé des scènes en 3D pour chacun des huit morceaux : soit des univers immersifs créés à partir des états de conscience et d’instants vécus lors de la composition des différents titres, « entre périphéries laissées à l’abandon et paysages faits d’amoncèlements instables. »
Connexions numériques
Aux prémices de Færies Records Records, il y a WhatRemains, Genesis, un film que Lou Fauroux présente comme la « pièce principale » de son écosystème. Un projet dont elle résume le pitch ainsi : « Début 2048, Google, qui possède la plupart de la Terre, trouve un remède contre la mort, via un logiciel d’immortalité digitale. Réservé à une élite d’hommes riches et puissants, le code source de ce programme est pillé par un groupe de hackers.ses, qui font en sorte de le rendre accessible à tout le monde. » Hasard ou non, on retrouve ici tout ce qui caractérise l’approche de la Parisienne : cette faculté à cracker des jeux vidéo (plusieurs versions des Sims, récupérés chez Emmaüs, traînent sur son bureau), à bidouiller des consoles, à bricoler des contenus et à flirter avec le monde de la musique dans l’idée de rendre chacun de ses projets encore plus immersifs.
Quant à savoir pourquoi elle se tourne plus particulièrement vers les sons électroniques, s’inscrivant de fait dans une longue tradition brillamment défendue par des festivals comme le Mutek ou Scopitone, l’explication tient en deux points. Le premier : « C’est ma culture, ce que j’écoute le plus depuis que je suis allée à ma première rave à 16 ans, au Trésor, à Berlin. Pour tout dire, j’ai même l’impression que mes visuels sont systématiquement modifiés en fonction du son que j’écoute, comme si mon espace mental changeait selon la mélodie entendue. ».
Le second : « J’ai également l’impression que les musiques électroniques sont celles qui se prêtent le plus à ce genre de projet artistique, ne serait-ce que parce que l’électro et l’art numérique partagent des points communs. En fin de compte, on est à chaque fois dans des économies d’outils, dans une “bedroom culture” qui permet de manipuler différents logiciels en même temps, de tout faire via ordinateur, là où d’autres musiques nécessitent d’aller en studio ou d’avoir un tas d’instruments à disposition. Là, on peut créer selon une économie relativement modeste, ce qui implique par extension que les musiques électroniques ont sans doute besoin plus qu’aucun autre genre musical de s’appuyer sur des visuels. »
Avant de se quitter, Lou Fauroux profite d’un échange autour de l’IA pour quitter son bureau, équipé de trois ordinateurs différents, et montrer quelques tirages photos générés par l’intelligence artificielle, centrés autour des gens de pouvoir et des cultures underground. On découvre ainsi Britney Spears en rave-party ou Elon Musk entrain d’acheter des taz à la sortie du Berghain, un club de Berlin où il s’est réellement fait refouler. « Toutes ces photos ont été faites il y a 10 ou 11 mois et là, je suis persuadée que je pourrai les retravailler en ajoutant énormément de détails, tant l’IA progresse à une vitesse folle, ajoute Lou Fauroux, les yeux grands ouverts mais l’esprit convaincu de ne pas créer des œuvres uniquement à propos de la technologie. Ma quête est davantage liée à la rapidité du geste. Évidemment, j’aime comprendre comment les outils numériques se développent, j’ai moi-même développé toute une réflexion sur et avec la technique, mais j’apprécie cette idée de développer un art dans une économie low-tech. Ma crainte, pour tout dire, serait d’avoir des ambitions techniques trop élevées, des envies démesurées qui m’empêcheraient d’aller au bout d’une idée ou d’un projet. »