On y était : Maintenant Festival, les mutations du vivant

On y était : Maintenant Festival, les mutations du vivant
“Second Self”, 2023 ©Tanja Busking

Du 8 au 13 octobre 2024, la métropole de Rennes s’est transformée en un véritable laboratoire de créativité et d’innovation à l’occasion du Maintenant Festival, rythmé par des performances, des concerts, des installations et des rencontres. Retour sur cet événement captivant, qui n’a de cesse d’explorer les limites des arts, des technologies et de la musique.

Munis de leur téléphone orienté vers le ciel, les passants de la place du Parlement de Bretagne s’apprêtent à faire une rencontre hors norme : celle de Slow Walker, créé par Peder Bjurman. À l’aide d’une application et de la réalité augmentée, l’artiste suédois permet aux badauds d’observer la démarche lente d’un immense tardigrade, animal aussi microscopique qu’omniprésent et essentiel à notre planète. En investissant l’espace public avec cette espèce menacée par le réchauffement climatique, Peder Bjurman incite les spectateurs à prendre le temps de contempler la nature qui les entoure, mais aussi de mieux la considérer et de la respecter.

Au cœur du centre-ville, Slow Walker marque un point d’honneur à cette 24e édition du Maintenant Festival : des arts numériques accessibles à toutes et tous, et ce, même au coin d’une place publique. Avec, comme axe majeur, la place du vivant, si souvent opposée à la technologie. « Intelligence artificielle, réalité immersive… Les usages numériques prennent une place croissante dans la société et sont de plus en plus présents au cœur du débat public. On souhaite offrir un prisme éclairant et un angle de vue innovant, a notamment déclaré Laure Offret, co-présidente de l’association organisatrice Electroni[k] lors de la soirée d’inauguration du festival, dont le thème était cette année l’action culturelle au sein du champ de la création numérique. On aime faire le pas de côté, on aime faire la part belle au sensible. On promeut l’émergence et on s’aventure avec quelques figures emblématiques. Puis, toujours, on revendique notre attachement parce qu’il nourrit les imaginaires à travers des installations audiovisuelles, souvent immersives, des expériences en live qui nous rappellent combien nous sommes vivants ».

Un immense tardigrade reproduit en réalité augmentée trône au-dessus d'un centre-ville
Slow Walker ©Peder Bjurman

Au cœur du festival

Lieu central de l’évènement, le théâtre du Vieux Saint-Étienne accueille trois installations d’art numérique. Ancienne église datant du 12ème siècle, cet espace crée une dualité singulière, mêlant les technologies des œuvres présentées à la beauté des vieilles pierres qui les abritent le temps d’une semaine. En suivant dûment le sens de circulation mis en place, les yeux sont de prime abord portés sur Diyauto Orchestra, créé par l’artiste visuel Simon Lazarus en collaboration avec Clara Rigaud et S8jfou. Comme son nom l’indique, cette installation interactive, pensée lors d’une résidence artiqtique, prend la forme d’un orchestre do it yourself. Les visiteurs deviennent alors musiciens, et sont invités à composer leur propre live à l’aide de sculptures instrumentales.

Pour accentuer les rapports entre les textures, les sons et les images, Simon Lazarus a notamment utilisé des biomatériaux et du mycélium de champignons afin de créer l’enveloppe de ces instruments. Quant au son, il n’était pas question d’utiliser uniquement des solutions préexistantes. Ainsi, l’artiste n’a pas hésité à pousser le vice du « fait main » en fabriquant une partie des softwares et de l’électronique. « Les visuels sont sélectionnés de manière aléatoire et sont issus de banques de formes. Néanmoins, les textures sont générées en fonction du son émis. Quant aux agissements du public, ces derniers vont solliciter certaines formes, changer les couleurs, les rythmes… », précise Simon Lazarus. En soufflant dans une sorte de pissenlit ou en jouant avec nos mains grâce à deux capteurs qui mesurent leur position, des sons se propagent donc et influencent l’aspect de la fresque vidéo générative.

Collage numérique avec différents volumes d'objets multicolores.
Diyauto Orchestra ©Simon Lazarus

Réinterprétation fantasmagorique

Le parcours se poursuit avec une réinterprétation du principe de fantasmagorie : Taotie de Thomas Garnier. Doté de roues omnimécanum lui permettant d’avoir des mouvements fluides, un robot autonome se déplace à sa guise en suivant des lignes au sol ; ce petit engin est capable de transporter les structures architecturales qui composent ce terrain de jeu tout en les éclairant. Des jeux d’ombres et d’illusion se dévoilent ainsi sur les murs de l’ancienne église. « À l’époque, c’était un registre plutôt d’horreur et de fantastique avec des projections de fantômes, de squelettes, explique Thomas Garnier, architecte de formation et diplômé du Fresnoy. Taotie est une réinterprétation technologique, ce n’est plus une personne qui déplace la lumière, mais un robot semblable à ceux utilisés dans les entrepôts logistiques d’Amazon ou d’Aliexpress. Dans la fantasmagorie, on parodiait et on se moquait des figures de pouvoir. Ici, je suis plutôt dans la représentation des structures de pouvoir ».

Inspiré de ces usines dépourvues d’âmes humaines, les « darkfactories », l’artiste souhaite explorer l’impact de l’élite technologique sur nos cycles naturels, de l’éveil au sommeil. Pour clore ce parcours, les visiteurs sont invités à contempler l’œuvre vidéo immersive, aBiogenesis, de Markos Kay, qui a également signé l’identité visuelle, Organicity, de cette nouvelle édition du Maintenant Festival. Souffrant d’une maladie auto-immune extrêmement invalidante depuis 2019, l’artiste installé à Londres s’empare de l’intelligence artificielle et produit des animations 3D. Gravitant autour de la science, de la biologie moléculaire et de la physique des particules, ses productions se répondent et mettent en lumière des théories scientifiques sur les origines de la vie. Son objectif ? Rendre visible l’invisible.

Vue en noir et banc sur des structures architecturales.
Taotie ©Thomas Garnier

Dansez, maintenant !

À la nuit tombée, le théâtre du Vieux Saint-Étienne se transforme pour accueillir de nombreux DJ sets. Au plafond, juste au-dessus de la scène, l’installation lumineuse imaginée et conçue par Maël Teillant, directeur technique de cette 24e édition, illumine ces soirées sous le signe de la musique électronique. Après quelques discours officiels, la soirée d’inauguration laisse elle aussi place à la compositrice franco-suisse Noémi Büchi et son expérience audiovisuelle. Librement inspiré de son dernier album du même nom, Does It Still Matter interroge le corps humain et toute la matière qui le forme. « Plus qu’un concert, j’ai voulu pour la première fois créer une œuvre d’art », confie l’artiste, qui s’est initiée à la musique électronique après avoir découvert le travail d’Éliane Radigue durant ses études.

Derrière sa table de mixage, Noémi Büchi est ici accompagnée d’une silhouette féminine, la comédienne Joséphine de Weck, qui apparait sur un grand écran, dont le corps bouge et se déforme en fonction de la musique et à l’aide d’un procédé d’IA développé par Gabriele Ottino. Peau en lambris, corps qui se fluidifie, des plumes et des poils qui surgissent… L’univers dans lequel nous plonge Noémi Büchi se veut anxiogène : « Je souhaite faire passer plusieurs émotions, explique-t-elle. Il y a un côté beau, terrifiant, agressif et aussi très esthétique. Toutes ces différentes facettes se combinent et me permettent de montrer au public comment sentir notre condition humaine. » Dans le public, les corps se meuvent, se crispent, frissonnent… Cette immersion révèle l’essence même de l’expérience humaine, tout en invitant chacun à explorer ses propres émotions et sa propre matière.

Vision macroscopique d'une molécule semblable à une plante.
aBiogenesis ©Markos Kay

Nuits électroniques

Nombreuses ont été les performances musicales programmées dans divers lieux culturels de la ville. Comme à l’Université Rennes 2, où Nicolas Bazogues a présenté une performance autour de son installation Spectral _ink, à travers laquelle il se questionne sur cette envie de vivre au bord de l’océan. Pour cela, des panneaux composés de rubans leds pixels ont été disposés de sorte à former une vague. Les couleurs et stimuli s’enchainent, notre esprit se balade dans cette brise marine visuelle et sonore, tantôt tempétueuse, tantôt calme. « Je me souviens de l’appréhension et de la fascination que j’avais à découvrir l’océan lorsque je venais en vacances d’été en Bretagne. Ce sont des sentiments que j’essaie de remettre dans la performance », précise Nicolas Bazogues. Des sons électroniques très planants à du live sampling avec une guitare électrique, l’atmosphère sonore créée par Nicolas Bazogues est un hommage à sa culture musicale de jeunesse : « Elle est faite de pop anglaise, de musique électronique et de rock que j’aime glisser dans mes créations. Je m’inspire souvent de Tatami Nakamoto du studio Nonotak. J’aime sa manière d’apporter de l’organique dans un dispositif très technologique. » À Rennes, l’océan artistique et numérique de Nicolas Bazogues invite quoiqu’il en soit à une certaine liberté, à un lâcher-prise par rapport aux technologies.

À l’Antipode, Jacques, arborant sa célèbre tonsure, a poussé encore un plus loin les limites de l’expérimentation dans un concert unique en son genre. Avec Vidéochose, le DJ et producteur compose un live en direct où les objets du quotidien – un interrupteur, un peigne, un fouet ou un briquet – deviennent des instruments à part entière. Chaque morceau se transforme ainsi en une exploration, oscillant entre mélodies mélancoliques et rythmes entraînants, tandis que des visuels captivants générés simultanément s’entremêlent pour donner vie à de folles histoires. Une performance hors norme remplie de liberté et de générosité : autant de caractéristiques propres à cette figure emblématique de la musique électronique, et plus généralement à la créativité de ce festival d’envergure.

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